Coup d’Etat en Bolivie

Sur la démission du Président

Evo Morales et le coup d’Etat en Bolivie

Par José Gabriel Feres* 

La démission d’Evo Morales, président de la Bolivie, et du vice-président Álvaro García Linera est sans aucun doute un fait regrettable, non seulement pour la Bolivie, mais pour tous les processus démocratiques sur le continent et dans le monde. Le rejet international a été catégorique par rapport au coup d’État qui a été consommé ce dimanche 10 novembre dans notre pays frère.

Cela se produit après la décision d’Evo Morales et de son gouvernement d’appeler à de nouvelles élections afin de résoudre la crise qui se préparait. Une réponse décisive qui n’acceptait pas les calculs, mais privilégiait le meilleur pour son peuple. Une réponse qui découle sans aucun doute de la profonde sensibilité humaniste d’Evo Morales, ainsi que de sa démission forcée en ce moment, qui répond à éviter l’effusion de sang de son peuple, déjà victime de la persécution et du meurtre de secteurs de la police et des bandes paramilitaires promus et financés par les secteurs fascistes de l’est du pays.

Plusieurs des comportements politiques du président bolivien ont peut-être fait l’objet de discussions, même de la part de ses propres partisans et de son soutien qui ont souffert de l’usure de 13 années de gouvernement. Cependant, la décision d’Evo Morales de convoquer de nouvelles élections l’a sans doute fait grandir, et sert de référence exemplaire en montrant que des conflits de cette ampleur ne peuvent être résolus que par plus de démocratie.

Le fait que le coup d’État ait été consommé, même après l’appel à de nouvelles élections lancé par Evo Morales, ne peut s’expliquer que par l’intention claire de mettre fin à son gouvernement et de ne pas vouloir prendre le risque de le faire démocratiquement, comment ne pas profiter du moment pour assurer son renversement par la force.

Malheureusement, une fois de plus, nous devons vivre en Amérique latine la violence des secteurs anti-humanistes qui ne veulent pas abandonner leurs privilèges et pour qui les procédures telles que les mensonges, les boycotts, l’achat de politiciens et de leaders sociaux, la complicité du pouvoir judiciaire, etc. ne sont pas suffisantes et finalement recourir aux secteurs des forces armées pour promouvoir des coups d’État et empêcher l’avancée de la démocratie.

Nous sommes convaincus que ces situations, qui auront sans aucun doute un coût élevé en souffrance, sont les dernières râles d’un système mourant avant sa disparition totale, puisque les peuples retrouveront enfin leur liberté volée et prendront leur destin en main, permettant un avenir meilleur pour tous.

Enfin, le refus du gouvernement chilien – ainsi que des gouvernements du Pérou, de l’Argentine et du Brésil – de laisser entrer dans l’espace aérien l’avion dans lequel se trouvaient Evo Morales et Alvaro García Linera (selon des sources journalistiques en Bolivie) est inexplicable, car ce faisant ils ont entravé leur droit à demander asile et les ont exposé aux violences politiques exprimées par leurs opposants qui ont réalisé le coup d’État.

 

*Vice-président du Parti Humaniste

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Des heures de colère et de tristesse à

propos du coup d’État en Bolivie

13.11.2019 

 Javier Tolcachier

Les sièges des cultivateurs de coca et du MAS (Mouvement au Socialisme) ont brûlé à Cochabamba.

L’histoire dira que le 10 novembre 2019, Evo Morales Ayma, président constitutionnel de la Bolivie, a démissionné de son poste.

L’histoire, qui est écrite par les appareils de fabrication du sens commun de droite, les médias privés dominants, n’insisteront pas sur le fait que Evo Morales a dû abandonner la présidence pour tenter d’arrêter le massacre que les hordes fascistes exécutaient contre les fonctionnaires du gouvernement et leurs proches, les militants de son parti (MAS, Mouvement au socialisme) et les femmes en tenue andine.

Le faux récit omettra le fait qu’en réalité, le premier président autochtone de Bolivie a été renversé par un coup d’État. Un président qui a réalisé des progrès sociaux impressionnants, qui a permis aux opprimés de Bolivie, pour la première fois de sa longue histoire, de bénéficier de la dignité de citoyens égaux en droits. Un coup d’État qui s’adresse non seulement à un dirigeant, mais à tout un mouvement social, dans le meilleur style répressif des dictatures du siècle dernier.

L’histoire déformée ne dira pas que Evo est un véritable représentant des organisations rurales, un homme qui, chaque jour depuis les premières heures du jour, travaille sans repos, un leader à qui ils n’ont pu imputer ni corruption, ni enrichissement personnel. Les journalistes nervis, diront quant à eux, qu’il voulait « rester éternellement au pouvoir ».

Ces tyrans de la communication donneront voix à ceux qui qualifient de « fin de la tyrannie » un coup d’État perpétré à l’encontre d’un gouvernement institutionnel. Dans leurs articles empoisonnés, ils glorifieront les vandales qui ont brûlé les urnes, les tribunaux, les sièges du parti, qui ont attaqué des femmes sans défense en raison de leur apparence et de leur identité.

Ils qualifieront de « courageux » ceux qui, pour de l’argent ou par confusion, ont agi comme une force de choc dans les premiers épisodes du coup d’Etat, alors que le décompte des voix n’était pas encore terminé. Bien que plus tard, pour y mettre les formes, quand la chasse aux sorcières s’est déclenchée après le coup d’Etat, ils dénommeront « excès » ce qui est une stratégie planifiée.

Les médias putschistes loueront l’attitude « conciliante » de Mesa – qui sera une marionnette faible des Etats -Unis, si on lui donne enfin le siège présidentiel – et la « fermeté », le « courage » et « l’intégrité morale » de la forme sacro sainte du Klu Klux Klan, de Luis Fernando Camacho. Ils appelleront à « l’unité » et à la « pacification », pour lesquelles les dirigeants actuels devront être tenus à l’écart des futures batailles électorales. Ils éviteront soigneusement de parler de « proscription », même si c’est le terme approprié à leurs intentions.

Toute déclaration préalable, de tonalité fasciste et raciste, sera effacée ou nuancée pour dissimuler le caractère manifeste du putsch. Les loups revêtiront la peau d’un agneau, pour plaire aux yeux du maître, ou des seigneurs des multinationales, toujours prêts à mettre au rebut les entreprises de ressources naturelles nationalisées, au profit d’actionnaires inconnus.

La manipulation de l’information montrera l’énorme « contribution » de l’Organisation des États américains (OEA) à la « dénonciation de la fraude électorale ». Personne n’osera mettre en évidence que le rapport de cette institution – financé à 60% par les Etats-Unis – ne parle même pas de fraude, mais que, certes, et selon ce qui était prévisible, il répand la suspicion en signalant les « irrégularités ».

Personne ne dira dans ces médias que c’était un oubli (peut-être forcé) du gouvernement de faire de cette organisation de conspiration un garant de la démocratie. Une organisation qui, si elle gagne quelqu’un qui n’est pas opérationnel face aux desseins géopolitiques du mauvais voisin du Nord coopère publiquement pour renverser le juste vainqueur et élever le perdant.

Aucun éditorialiste dans les médias de masse ne critiquera le silence des gouvernements de droite généralement « préoccupés  » par les droits humains et la démocratie. Tout au plus, une chancellerie exhortera à reprendre les bonnes coutumes républicaines, c’est-à-dire celles qui favorisent le pouvoir en place.

La presse malhonnête reprochera à la police et à l’armée de prendre le parti de la « juste cause du peuple opprimé ». Une presse qui fera taire toute tentative d’enquête sur les motivations des hauts commandements des forces de sécurité à manquer à leur devoir de protection des citoyens, et à sauvegarder un gouvernement élu par la volonté populaire. Ils abonderont dans leur dysfonctionnement de chroniques qui élimineront toute référence à l’esprit putschiste de son déclenchement.

Il ne fait aucun doute qu’aucun de ces médias n’oseront faire référence dans ses articles à d’éventuels plans et intrigues d’ingérence extérieure avant les élections, qui avaient pour objectif précis le renversement d’Evo Morales.

Loin de contextualiser le coup d’État comme un mouvement géopolitique visant à saper la souveraineté et la possibilité d’intégration des peuples d’Amérique latine et des Caraïbes, quelques chroniqueurs exaltés, en recherche de promotion et de hausse de salaire, parleront d’un pas important fait pour briser « l’influence néfaste » de Cuba et du Venezuela dans la région.

Comme d’habitude, la véritable histoire révélera, très peu de temps après, comment les choses se sont réellement passées.

La vérité est qu’aujourd’hui les puissants, la droite, les fascistes, les rétrogrades et les violents se frottent les mains et célèbrent la chute d’un gouvernement populaire.

Les pauvres sur terre pleurent d’angoisse et de rage. Et nous avec eux.

 

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Quand néofascisme rime avec

néolibéralisme :

coup d’État en Bolivie et infox

12 Nov 2019

MARC VANDEPITTE

Le coup d’État en Bolivie ne tombe pas du ciel, il révèle la patte des Etats-Unis. C’est la revanche de la classe dominante, fortement teintée de racisme.

Le pays va-t-il vers un bain de sang ? 

« Pourquoi n’y a-t-il jamais eu de coup d’État aux USA.

Parce que là, il n’y a pas d’ambassade des Etats-Unis.

– Plaisanterie classique en Amérique latine.

Le dimanche 10 novembre un coup d’État a été perpétré en Bolivie. L’armée a contraint le président Evo Morales, nouvellement élu, à démissionner. Dans la rue la violence monte. Des bandes armées de l’opposition agressent des militants et dirigeants du Mouvement pour le Socialisme (MAS) d’Evo Morales. Elles intimident des journalistes, mettent le feu aux maison de membres du MAS, notamment de la sœur d’Evo.

A certains endroits, toute personne qui semble indigène est agressée physiquement. Des femmes indigènes sont déshabillées et molestées. Il y a déjà eu plusieurs morts.

La revanche sur la vague rose 

Ce coup d’État n’est pas totalement inopiné. C’est le énième coup d’État ou tentative de putsch en Amérique latine depuis le début de ce siècle : Venezuela en 2002, Haïti en 2004, la Bolivie en 2008, le Honduras en 2009, l’Equateur en 2012, à nouveau le Venezuela depuis 2013, le Brésil en 2016 et le Nicaragua en 2018.

C’est une réaction à la déferlante de gauche, dite « marée rose » en Amérique latine. Dans les années ‘80 et ‘90, le rouleau compresseur néolibéral avait provoqué un vrai bain de sang dans la région. Le nombre de pauvres avait augmenté d’un tiers. La population ne l’accepta pas et les pays élirent l’un après l’autre un président de gauche.

Sous l’administration de ces présidents de gauche, des programmes anti-pauvreté ont été implémentés et le pouvoir néolibéral a été limité et réduit. Un front s’est également constitué pour réduire l’emprise des Etats-Unis sur le continent.

La vague de gauche ne plaisait évidemment pas aux élites de ces pays, pas plus qu’au gouvernement étatsunien. Tout a été fait pour éliminer ces présidents de gauche. En première instance, par le moyen des élections. Pour l’élite, les élections sont habituellement un « match à domicile » : les partis traditionnels lui obéissent au doigt et à l’oeil, elle dispose d’importants moyens financiers, contrôle les médias ou manipule les réseaux sociaux, et elle brandit la menace du désastre économique ou du chaos au cas où les gens voteraient pour la gauche.

Révolutions de couleur et coups d’État « civils » …

Cette recette électorale a servi longtemps, jusqu’à ce que Hugo Chavez fût élu au Venezuela en 1998. Depuis lors, dans bien des pays, la confrontation électorale se révéla beaucoup moins en faveur de l’élite et des intérêts étatsuniens. C’est pourquoi on fit appel à une autre stratégie : une révolution de couleur, ou une autre forme de coup d’État « civil » ou « constitutionnel », ou une combinaison des deux. L’unique objectif étant évidemment d’en finir avec le président de gauche. Avec le soutien des médias contrôlés par l’élite, ces coups d’État camouflés sont recadrés en soulèvements populaires spontanés ou interventions constitutionnelles légitimes.

Cette tactique n’est pas vraiment neuve, sauf que la carte militaire est jouée moins volontiers que dans le passé. A partir des années ‘50 et jusqu’aux années ‘80 du siècle dernier, le continent a encore été la proie de coups d’État militaires. Le plus notoire est celui du Chili en 1973. Le putsch néofasciste de Pinochet a mis fin au gouvernement progressiste de Salvador Allende et créé les conditions idéales pour un régime néolibéral : l’éradication de toute opposition sociale. Car néofascisme rime avec néolibéralisme. La dictature militaire au Chili est devenue le premier terrain d’essai pour les croisés du néolibéralisme. La Bolivie, qui fut une dictature militaire jusqu’au début des années ‘80, devint le deuxième laboratoire, avec les conséquences sociales bien connues.

… avec le soutien des Etats-Unis

Depuis deux cents ans l’Amérique latine est l’arrière-cour des Etats-Unis. Les Etatsuniens ont de grands intérêts économiques à préserver, ce pourquoi ils ont quelque quatre-vingt bases militaires.

Le personnel diplomatique étatsunien en Bolivie a une forte tradition d’intrigues et d’ingérences dans les affaires intérieures du pays. C’est ainsi qu’un vrai scandale a été déclenché à propos du président – juste après une rencontre entre le diplomate étatsunien du grade le plus élevé à l’époque et un « journaliste » qui, dans une vie antérieure, était le chef du service de renseignement. Après coup il apparut que tout reposait sur une infox, mais cela entraîna néanmoins la défaite de justesse d’Evo Morales au referendum constitutionnel de 2016.

Dans un passé récent Carlos Mesa, l’adversaire droitier d’Evo Morales lors des dernières élections, a eu des contacts avec plusieurs hauts fonctionnaires et parlementaires des Etats-Unis. Fin juillet 2018 il annonçait déjà qu’une réélection d’Evo Morales entraînerait « une situation que nous ne souhaitons pas : la violence ». Cela indique que le coup d’État actuel était bien préparé. L’OEA – Organisation des États Américains – a également joué un rôle déterminant dans ce coup d’État. L’OEA a été créée en 1948 par les USA pour que les pays d’Amérique latine restent dans le sillage de Washington. Elle a refusé de reconnaître les résultats des élections boliviennes. Elle a ainsi exercé une forte pression sur le gouvernement et fourni à l’armée un prétexte pour exiger la démission du président Morales.

Des intérêts économiques

La Bolivie a toute sa place dans la liste des pays énumérés plus haut. Dans tous ces pays la situation sociale s’est généralement améliorée de manière spectaculaire. En Bolivie également. Sous l’administration d’Evo Morales les salaires réels ont augmenté de 60 % et la pauvreté extrême a été réduite de 60 % également. Cette gouvernance sociale n’a été possible qu’en nationalisant un certain nombre de secteurs clés de l’économie. Pour l’élite c’était impardonnable. A cet égard il n’est pas inintéressant de rappeler le plan d’Evo Morales pour le lithium : non seulement l’extraire mais aussi le transformer en batteries. Le lithium est une matière première très importante pour la nouvelle économie et il sert dans la production de véhicules électriques, d’avions, de batteries, de téléphones mobiles ainsi que de médicaments. La Bolivie possède les plus grandes réserves mondiales de lithium. Les élites mondiales n’acceptent pas que cette matière première stratégique soit aux mains de la gauche.

Le facteur indigène

Mais il y a en Bolivie un facteur supplémentaire : la question indigène. Evo Morales est le premier président indigène. Plus encore : il a donné davantage de droits et amélioré la situation sociale de la population – majoritairement indigène – qui auparavant était  traitée comme des citoyens de seconde classe. L’élite généralement blanche et souvent ouvertement raciste n’a jamais pu le digérer. Le coup d’État perpétré aujourd’hui est leur revanche. Ce n’est pas un hasard si les violences visent à présent explicitement la population indigène. 

Par ce coup d’État l’élite veut remettre les pendules à l’heure. Elle terrorise les élus MAS et leurs possibles partisans. Le président Evo Morales, qui a osé toucher à ses privilèges et à ses possessions, doit être éliminé politiquement ou physiquement. Il n’est pas à exclure que le pays ne soit exposé à un bain de sang.

 

 

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Femmes indigènes : « Il ne s’agit pas d’un

homme, il s’agit d’un peuple »

15.11.2019

Redacción Mar del Plata

Demande du Mouvement des femmes indigènes pour le Bien-Vivre, sur la Bolivie et le Chili. Communiqué.

Depuis le Mouvement des Femmes Indigènes pour le Bien-Vivre, nous voulons rendre publique notre répudiation furieuse, chargée de douleur, pour tant de sang versé, tant au Chili qu’en Bolivie.

Nous rejetons catégoriquement le coup d’État en Bolivie. Le président Evo Morales, en raison de la chasse sanguinaire et raciste de la droite fasciste des affaires, a démissionné. Nous savons bien qu’un président peut démissionner, mais le peuple n’abandonnera pas ses rêves. Il ne s’agit pas d’un homme, mais d’une lutte qui a éclairé le monde, qui a porté les voix millénaires des ancêtres indigènes, une lutte qui a élevé le Wiphala, et qui a mis Evo à la présidence. Les peuples autochtones de Bolivie se rappelleront de leur pouvoir et ce triomphe sanglant de la droite ne sera qu’éphémère.

Ironiquement, le président que tous les Indo-Américains veulent voir partir n’a pas démissionné. Piñera, au Chili, malgré les morts, les tortures, les viols, les disparitions, les graves blessures, reste arrogant et impassible dans son fauteuil présidentiel, stupide, froid, sinistre. Il ne démissionne pas par pression du monde des affaires qui l’oblige à rester. Le modèle chilien de néolibéralisme qui a connu jusqu’à récemment un grand succès ne peut pas tomber, les mentors de la mort, qui dominent le monde, se le disent à eux-mêmes. Mais il tombera, parce qu’il y a les peuples, avec une dignité et une force tellurique, qui bougent avec puissance les racines de siècles d’injustice ; là, à Ngulumapu, la nation mapuche a versé trop de sang qui a arrosé les graines de toutes les rébellions, réveillant le peuple chilien et les peuples du Sud du monde.

Nous, Femmes autochtones du monde, nous devons nous unir et nous battre avec spiritualité et sagesse, car c’est seulement ainsi que nous gagnerons.

Il n’y a qu’un seul continent, qui bat d’un seul cœur, celui de la Mapu, Pacha, Terre, nous en sommes les porteuses et formatrices des modes de vie. C’est notre temps, le temps de notre lutte ; la Force, le Newen de ces peuples dignes, nourrit notre espérance, mais nous devons mettre en action notre solidarité, sortir, marcher, crier, cheminer encore, combattre mais en tous cas ne pas laisser seules nos Sœurs de Tawantisuyo et Wallj Mapu (du Chili et de Bolivie).

La plurinationalité des territoires n’a pas besoin d’autorisation pour exister. Abattons les frontières, la solidarité va s’étendre sans barrières. Ni le pouvoir des Églises ni celui des militaires n’arrêteront la lutte pour une vie juste, digne et diverse dans chaque territoire.

De tous les territoires autochtones des 36 Nations de l’Argentine, les femmes du Mouvement pour le Bien-Vivre embrassent de tout notre cœur rebelle et solidaire le peuple de Bolivie, le peuple du Chili, les peuples opprimés et en lutte, et nous appelons à la vigilance pour empêcher la droite fasciste mettent à exécution ses menaces de massacres sur les peuples autochtones.

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Chili : le mouvement qui veut la dignité

s’organise dans les quartiers

19.11.2019 –

Santiago du Chili 

 Marianella Kloka

Assemblée populaire dans le quartier de Yungay

Le mouvement qui veut la dignité a beaucoup en commun avec le mouvement espagnol 15M dans sa manière de fonctionner, et il évoque beaucoup de nos souvenirs grecs de 2011 et 2012, bien qu’à ses débuts, les gens des quartiers se rendent sur leur place quotidienne la plus proche et commencent à se rencontrer par thème à 19 heures pour que, peu après, un groupe plus nombreux puisse le faire. Lors de leur réunion conjointe, ils annoncent les décisions prises par les groupes spécifiques et communiquent ensuite avec d’autres assemblées dans d’autres quartiers. De cette façon, le mouvement qui veut la dignité s’organise dans tous les quartiers du Chili.

Le 15 novembre, l’après-midi, nous étions dans le quartier de Yungay, avec des amis de Pressenza de différentes équipes de rédaction, et nous avons participé à leurs discussions. Les jeunes et les personnes de tous âges, les familles avec leurs enfants et leurs partenaires de même sexe, les immigrés et les indigènes, ont dit qu’ils n’étaient pas seulement intéressés par une revendication « sèche » pour que Piñera démissionne. Ils s’intéressent à au moins deux choses plus sérieuses :

  • de le tenir responsable, lui et ceux qui ont commis les meurtres et les blessures graves dont ont été victimes des milliers de personnes.
  • il est important de prendre en charge une part importante de la planification de l’avenir.

Frustrés par le système politique actuel et les différentes politiques sectorielles mises en œuvre avec lesquelles la démocratie a été bafouée, ils sont prêts et déterminés à retrouver leur avenir.

Des dizaines d’assemblées de quartier auto-organisées sont en cours au Chili ces jours-ci.

Lettre aux intellectuels qui

tournent les révolutions en

ridicule au nom de la pureté

28 Nov 2019

 

ROXANNE DUNBAR-ORTIZVIJAY PRASHADANA MALDONADO / PILAR TROYA FERNÁNDEZ

Alors que l’impérialisme américain relance, comme à l’époque du plan Condor, ses dictatures militaires et fascistes à l’assaut de l’Amérique Latine, certains – se réclamant de la gauche voir même révolutionnaires – sont plus prompts à critiquer l’action des forces progressistes et révolutionnaires qu’à apporter le soutien internationaliste et anti impérialiste qui est pourtant une valeur cardinale de l’engagement progressiste. C’est ce que trois intellectuels dénoncent dans une lettre ouverte. Nul besoin de partager ici ni les engagements ni les termes de ces trois personnalités pour se sentir interpellé par ce coup de gueule. Que l’on soit d’accord ou pas avec Chavez, Maduro, Ortegua ou Morales et leur manière de mener avec leur mouvement leurs processus révolutionnaire ne pourra jamais justifier de ne pas être solidaire de la lutte de leurs peuples contre l’impérialisme. Encore moins de se réjouir quand l’offensive US progresse en Amérique latine.

Les révolutions ne surviennent pas de manière soudaine ni ne transforment immédiatement une société. Une révolution est un processus qui avance à des vitesses variables, et son rythme peut changer rapidement si le moteur de l’histoire est accéléré par l’intensification du conflit de classes. Mais la plupart du temps, la construction de l’élan révolutionnaire est glaciale, et la tentative de transformer un État et une société peut être encore plus lente.

En 1930, Léon Trotsky a écrit depuis son exil turc l’étude la plus remarquable sur la Révolution russe. Treize ans avaient passé depuis le renversement de l’Empire tsariste. Mais la révolution était déjà tournée en ridicule, même par des gens de gauche. « Le capitalisme », écrit Trotsky en conclusion de son livre, « a eu besoin de cent ans pour élever la science et la technique au plus haut niveau et plonger l’humanité dans l’enfer de la guerre et de la crise. Les ennemis du socialisme ne lui laissent que quinze ans pour créer et offrir un paradis terrestre. Nous n’avons jamais contracté une telle obligation. Nous n’avons jamais fixé ces dates. Le processus de transformation doit être mesuré à la bonne échelle. »

Quand Hugo Chávez a gagné l’élection au Venezuela (en décembre 1998) et quand Evo Morales Ayma a fait la même chose en Bolivie (en décembre 2005), leurs critiques de gauche d’Amérique du Nord et d’Europe n’ont pas laissé à leurs gouvernements le temps de respirer. Certains professeurs à orientation gauchiste ont immédiatement commencé à critiquer leurs limites et même leurs échecs. Cette attitude était limitée politiquement — il n’y avait aucune solidarité avec ces expériences; elle était également limitée intellectuellement — il n’y avait aucun sens des difficultés profondes auxquelles était confrontée une expérience socialiste dans des pays du tiers-monde, pétrifiés dans des hiérarchies sociales et pauvres en ressources financières.

Le rythme de la révolution

Deux ans après le début de la Révolution russe, Lénine a écrit que l’URSS nouvellement créée n’était pas « un talisman miraculeux » ni qu’elle « ouvre la voie au socialisme. Elle donne à ceux qui étaient auparavant opprimés une chance de redresser leur dos et de prendre de plus en plus en main le gouvernement du pays, toute l’administration de l’économie, toute la gestion de la production ».

Mais même cela— ce tout ceci, et ce tout cela — n’allait pas être facile. C’est, écrivait Lénine, « une lutte de classe longue, difficile et obstinée, qui, après le renversement de la domination capitaliste, après la destruction de l’État bourgeois … ne disparaît pas … mais change simplement de forme et, à bien des égards, devient encore plus féroce ». C’était le jugement de Lénine après que l’État tsariste avait été renversé, et après que le gouvernement socialiste avait commencé à consolider son pouvoir. Alexandra Kollontaï a écrit (par exemple dans son roman L’amour chez les abeilles travailleuses) sur les batailles pour construire le socialisme, les conflits au sein du socialisme pour atteindre ses buts. Rien n’est automatique ; tout est une lutte.

Lénine et Kollontaï soutenaient que la lutte de classe ne s’interrompt pas quand un gouvernement révolutionnaire prend le pouvoir ; elle est en fait « plus féroce », l’opposition y est intense parce que les enjeux sont élevés et le moment est dangereux parce que l’opposition — à savoir la bourgeoisie et la vieille aristocratie — a l’impérialisme à ses côtés. Winston Churchill a déclaré : « Il faut étrangler le bolchévisme dans son berceau », et donc les armées occidentales ont rejoint l’Armée blanche dans une agression presque fatale contre la République soviétique. Cette agression a duré des derniers jours de 1917 à 1923 — six années d’assaut militaire soutenu.

Ni au Venezuela ni en Bolivie, ni dans aucun des pays qui ont tourné à gauche ces vingt dernières années, l’État bourgeois n’a été totalement dépassé et le système capitaliste renversé. Les processus révolutionnaires dans ces pays ont dû créer progressivement les institutions DE et Pour la classe ouvrière, en même temps que se perpétuait la domination capitaliste. Ces institutions reflètent l’émergence d’une forme unique d’État basée sur la démocratie participative ; cela s’exprime entre autres dans les Misiones Sociales. Toute tentative de dépasser le capitalisme a été empêchée par le pouvoir de la bourgeoisie — qui n’a pas été vaincue par des élections répétées et qui est maintenant à l’origine de la contre-révolution; elle a aussi été entravée par la puissance de l’impérialisme — qui a réussi, pour le moment, un coup d’État en Bolivie et qui menace quotidiennement d’un coup d’État au Venezuela. Personne, en 1998 ou en 2005, n’a suggéré que ce qui se passait au Venezuela ou en Bolivie était une « révolution » semblable à la Révolution russe ; les victoires électorales faisaient partie d’un processus révolutionnaire. Comme premier acte de son gouvernement, Chávez a annoncé un processus constituant pour la refondation de la République. De même, Evo a affirmé en 2006 que le Mouvement vers le socialisme (MAS) a été élu au gouvernement mais n’avait pas pris le pouvoir ; c’est plus tard qu’un processus constituant a été lancé, qui a été lui-même un long chemin. Le Venezuela a entamé un « processus révolutionnaire » prolongé, tandis que la Bolivie entrait dans un « processus de changement » ou — comme ils l’appelaient tout simplement — « le processus », qui se poursuit même maintenant — après le coup d’État. Néanmoins, tant le Venezuela que la Bolivie ont subi tous les effets de la « guerre hybride » — du sabotage des infrastructures physiques au sabotage de leur capacité à lever des fonds sur les marchés financiers.

Lénine a suggéré qu’après la prise de l’État et l’abolition de la propriété privée, le processus révolutionnaire dans la nouvelle république soviétique était difficile et la lutte de classe tenace bien vivante ; alors imaginez combien plus difficile est la lutte obstinée au Venezuela et en Bolivie.  

Révolutions au royaume de la nécessité

Imaginez, de nouveau, combien il est difficile de construire une société socialiste dans un pays où — malgré la richesse de ses ressources naturelles — persistent une grande pauvreté et de grandes inégalités. Plus profondément encore, il y a cette réalité culturelle qu’une grande partie de la population a souffert et a lutté contre des siècles d’humiliation. Il n’est donc pas surprenant que dans ces pays, les ouvriers agricoles, les mineurs et les ouvriers des villes les plus opprimés soient issus des communautés indigènes ou de descendants d’Africains. Le fardeau écrasant de l’indignité joint au manque d’accès aux ressources rend les processus révolutionnaires dans le « royaume de la nécessité » d’autant plus difficiles.

Dans ses Manuscrits économico-philosophiques (1844), Marx fait une distinction entre le « royaume de la liberté » — où « cesse le travail déterminé par la nécessité et les considérations prosaïques » — et le « royaume de la nécessité » — où les besoins physiques ne sont pas du tout satisfaits. Une longue histoire de d’asservissement colonial puis de vol impérialiste a vidé de grandes parties de la planète de leurs richesses et a donné à ces régions — principalement en Afrique, en Asie et en Amérique latine — l’impression de vivre en permanence dans le « royaume de la nécessité ». Lorsque Chávez a remporté sa première élection au Venezuela, la pauvreté atteignait le taux incroyable de 23.4%; en Bolivie, lorsque Morales a remporté sa première élection, la pauvreté était au taux stupéfiant de 38.2%. Ce que ces chiffres montrent, ce n’est pas seulement la pauvreté absolue de larges pans de la population, mais ce qu’ils recèlent c’est les siècles d’humiliation sociale et d’indignité, qui ne peuvent être rendus par une simple statistique.

Les révolutions et les processus révolutionnaires semblent s’enraciner davantage dans le royaume de la nécessité — en Russie tsariste, en Chine, à Cuba, au Vietnam — que dans celui de la liberté — en Europe et aux États-Unis. Ces révolutions et ces processus révolutionnaires — comme au Venezuela et en Bolivie — se produisent dans des endroits qui n’ont pas accumulé de richesses socialisables. La bourgeoisie, dans ces sociétés, s’enfuit avec son argent au moment de la révolution ou du changement révolutionnaire ou reste sur place mais place son argent dans des paradis fiscaux ou dans des endroits comme New York ou Londres. Le nouveau gouvernement ne peut pas accéder à cet argent, le fruit du travail du peuple, sans encourir les foudres de l’impérialisme. Voyez à quelle vitesse les États-Unis se sont organisés pour que l’or du Venezuela soit saisi par la Bank of London, et pour geler les comptes bancaires des gouvernements iranien et vénézuélien, et voyez à quelle allure les investissements se sont taris quand le Venezuela, l’Équateur, le Nicaragua et la Bolivie ont refusé de se plier au mécanisme de règlement entre États et investisseurs de la Banque mondiale.

Chávez et Morales ont essayé de prendre en charge les ressources dans leurs pays, un acte considéré comme une abomination par l’impérialisme. Tous deux ont subi des reproches, accusés d’être des « dictateurs » parce qu’ils voulaient renégocier les accords passés par les gouvernements précédents pour le prélèvement des matières premières. Ils avaient besoin de ce capital, non pour leur enrichissement personnel — personne ne peut les accuser de corruption personnelle — mais pour développer les capacités sociales, économiques et culturelles de leurs peuples.

Chaque jour est une lutte pour les processus révolutionnaires au « royaume de la nécessité ». Le meilleur exemple de cela est Cuba, dont le gouvernement révolutionnaire a dû lutter contre un embargo écrasant et contre les menaces d’assassinat et de coups d’État depuis le tout début.

Les révolutions des femmes

Il est admis — et il serait insensé de le nier — que les femmes sont au centre des manifestations en Bolivie contre le coup d’État et pour la restauration du gouvernement de Morales ; au Venezuela aussi, la majorité des gens qui descendent dans les rues pour défendre la Révolution bolivarienne sont des femmes. La plupart de ces femmes ne sont peut-être pas des Masistas ou des Chavistas, mais elles comprennent certainement que ces processus révolutionnaires sont féministes, socialistes et s’opposent à l’indignité dont sont victimes les autochtones et les Afrodescendants.

Des pays comme le Venezuela et la Bolivie, l’Équateur et l’Argentine ont subi d’énormes pressions de la part du Fonds monétaire international pendant dans les années 1980 et 1990 pour qu’ils pratiquent des coupes importantes dans le soutien étatique à la santé, à l’éducation et à la prise en charge des personnes âgées. L’effondrement de ces systèmes sociaux essentiels a lourdement pesé sur « l’économie des soins », qui — pour des raisons patriarcales — est principalement assumée par les femmes. Là où la « main invisible » ne réussissait pas à prendre soin des personnes, le « cœur invisible » devait le faire. C’est l’expérience des coupes dans l’économie des soins qui a approfondi la radicalisation des femmes dans nos sociétés. Leur féminisme est né de leur expérience du patriarcat et des politiques d’ajustement structurel ; la tendance du capitalisme à exploiter la violence et les privations a accéléré l’adhésion directe du féminisme ouvrier et indigène aux projets socialistes de Chávez et de Morales. Alors que la marée du néolibéralisme continue à déferler sur le monde et qu’elle plonge les sociétés dans l’angoisse et le chagrin, ce sont les femmes qui ont été les plus actives dans la lutte pour un monde différent.

Morales et Chávez sont des hommes, mais dans le processus révolutionnaire ils en sont venus à symboliser une réalité différente pour toute la société. À différents degrés, leurs gouvernements se sont engagés à adopter un programme visant à la fois la culture patriarcale et la politique des coupes sociales qui font peser sur les femmes le fardeau du maintien de la cohésion sociale. Les processus révolutionnaires en Amérique latine doivent par conséquent être compris comme étant profondément conscients de l’importance de mettre les femmes, les autochtones et les Afrodescendants au cœur de la lutte. Personne ne niera que des centaines d’erreurs ont été commises par les gouvernements, erreurs de jugement qui ont fait reculer la lutte contre le patriarcat et le racisme ; mais ce sont des erreurs qui peuvent être corrigées et non des caractéristiques structurelles du processus révolutionnaire. C’est quelque chose qui est profondément reconnu par les femmes autochtones et afrodescendantes dans ces pays; la preuve de cette reconnaissance n’est pas dans tel ou tel article qu’elles ont écrit, mais dans leur présence active et énergique dans les rues.

Dans le cadre du processus bolivarien au Venezuela, les femmes ont été essentielles dans la reconstruction des structures sociales abîmées par des décennies de capitalisme austéritaire. Leur travail a été central dans le développement du pouvoir du people et dans la mise en place de la démocratie participative. Soixante-quatre pour cent des porte-parole des 3 186 communes sont des femmes, tout comme la majorité des dirigeantes des 48 160 conseils communaux ; 65% des responsables des comités locaux d’approvisionnement et de production sont des femmes. Les femmes revendiquent non seulement l’égalité sur le lieu de travail, mais exigent l’égalité dans le domaine social, où les comunas sont les atomes du socialisme bolivarien. Les femmes se sont battues dans la sphère sociale pour construire la possibilité d’un gouvernement autonome, construire un double pouvoir érodant par conséquent lentement la forme de l’État libéral. Contre le capitalisme de l’austérité, les femmes ont montré leur créativité, leur force et leur solidarité, non seulement contre les politiques néolibérales mais également pour l’expérience socialiste et contre la guerre hybride.

Démocratie et socialisme

Les courants intellectuels de gauche ont été gravement meurtris dans la période qui a suivi la chute de l’URSS. Le marxisme et le matérialisme dialectique ont considérablement perdu en crédibilité, non seulement en Occident mais dans de grandes parties du monde ; le post-colonialisme et les études subalternes — des variantes du poststructuralisme et du post-modernisme — ont fleuri dans les cercles intellectuels et universitaires. Un des principaux thèmes de ce courant savant était l’affirmation que « l’État » est obsolète en tant que vecteur de transformation sociale, et que le salut réside dans la « société civile ». Une combinaison de théories postmarxiste et anarchiste a adopté cette argumentation pour tourner en ridicule toutes les expériences de socialisme réalisées par le biais du pouvoir étatique. L’État été considéré comme un simple instrument du capitalisme plutôt que comme un outil pour la lutte des classes. Mais si le people se retire de la lutte pour l’État, il servira l’oligarchie — sans contestation, et aggravera les inégalités et la discrimination.

Faire primer les « mouvements sociaux » sur les mouvements politiques reflète la désillusion par rapport à la période héroïque de la libération nationale, y compris les mouvements de libération des peuples autochtones. Cette idée écarte également l’histoire actuelle des organisations autochtones en relation avec les mouvements politiques qui ont conquis le pouvoir d’État. En 1977, après une lutte importante, les organisations autochtones ont forcé les Nations unies à lancer un projet visant à mettre fin à la discrimination contre les populations autochtones dans les Amériques. Le Conseil indien d’Amérique du Sud, sis à La Paz, était l’une de ces organisations qui a travaillé étroitement avec le Conseil mondial de la paix, la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté ainsi qu’avec un grand nombre de mouvements de libération nationale (le Congrès national africain, l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain SWAPO, l’Organisation de libération de la Palestine). C’est à partir de cette unité et de cette lutte que l’ONU a créé en 1981 le Groupe de travail sur les populations indigènes et qu’elle a déclaré 1993 Année internationale des peuples autochtones. En 2007, Evo Morales a mené la campagne pour que l’ONU adopte une Déclaration des droits des peuples autochtones. C’est un exemple très clair de l’importance de l’unité et de la lutte menée par les mouvements des peuples autochtones et les États fraternels — s’il n’y avait pas eu les luttes des mouvements autochtones de 1977 à 2007, aidés et soutenus par les États fraternels, et s’il n’y avait pas eu le gouvernement bolivien en 2007, cette Déclaration, qui a une énorme importance pour faire avancer la lutte, n’aurait pas été adoptée.

Les intellectuels autochtones des Amériques ont compris la complexité de la politique à partir de cette lutte — que l’autodétermination autochtone vient de la lutte dans la société et l’État pour vaincre le pouvoir bourgeois et colonial ainsi que pour trouver les instruments permettant de préparer la transition au socialisme. Parmi leurs formes — comme l’ont reconnu le Péruvien José Carlos Mariátegui et l’Équatorienne Nela Martínez il y a presque un siècle — il y a la comuna.

Les révolutions en Bolivie et au Venezuela n’ont pas seulement aiguisé les relations entre les hommes et les femmes, entre les communautés autochtones et non autochtones, elles ont aussi remis en question la compréhension de la démocratie et du socialisme lui-même. Ces processus révolutionnaires n’ont pas seulement dû travailler sous le règne de la démocratie libérale, ils ont en même temps construit un nouveau cadre institutionnel par le biais des comunas, entre autres formes. C’est en gagnant les élections et en prenant en charge des institutions de l’État que la Révolution bolivarienne a été en mesure de réorienter les ressources vers une augmentation des dépenses sociales (pour la santé, l’éducation, le logement) et vers une attaque directe contre le patriarcat et le racisme. Le pouvoir étatique aux mains de la gauche a été utilisé pour construire ces nouveaux cadres institutionnels qui étendent l’État et le dépassent. L’existence de ces deux formes — les institutions démocratiques libérales et les institutions socialistes féministes — a conduit à l’éclatement du préjugé d’une « égalité libérale » fictive. Réduite au vote, la démocratie oblige les individus à croire qu’ils sont des citoyens dotés du même pouvoir que d’autres citoyens, indépendamment de leurs positions socio-économique, politique et culturelle. Le processus révolutionnaire remet en question ce mythe libéral, mais il n’a pas encore réussi à le vaincre — comme on peut le voir tant en Bolivie qu’au Venezuela. C’est une lutte pour créer un nouveau consensus social autour de la démocratie socialiste, une démocratie enracinée non dans un « vote égal » mais dans l’expérience concrète de la construction d’une nouvelle société.

Une des dynamiques classiques d’un gouvernement de gauche est qu’il reprend le programme de nombreux mouvements politiques et sociaux de la population. En même temps, beaucoup de membres de ces mouvements — ainsi que de diverses ONG — rejoignent le gouvernement, amenant leurs diverses compétences dans les institutions complexes du gouvernement moderne. Cela produit un effet contradictoire : cela satisfait les revendications de la population et en même temps tend à affaiblir les organisations indépendantes de toutes sortes. Ces développements font partie du processus découlant d’un gouvernement de gauche au pouvoir, que ce soit en Asie ou en Amérique du Sud. Ceux qui veulent rester indépendants du gouvernement luttent pour rester pertinents ; ils deviennent souvent des critiques sévères du gouvernement et leurs critiques sont fréquemment utilisées comme armes par les forces impérialistes à des fins étrangères à ceux-là mêmes qui les ont émises.

Le mythe libéral cherche à parler au nom du people, pour cacher ses intérêts et ses aspirations réels — en particulier ceux des femmes, des communautés autochtones et des Afrodescendants. La gauche impliquée dans les expériences de la Bolivie et du Venezuela a cherché à développer la maîtrise collective du peuple dans une lutte de classe controversée. Une position qui attaque l’idée même d’« État » comme étant un force oppressive ne voit pas comment l’État concret, en Bolivie et au Venezuela, tente d’utiliser son autorité pour construire les institutions du double pouvoir afin de créer une nouvelle synthèse politique, avec les femmes en première ligne.

Des conseils révolutionnaires sans expérience révolutionnaire

Les révolutions ne sont pas faciles à faire. Elles sont pleines de reculs et d’erreurs puisqu’elles sont faites par des gens imparfaits et dont les partis politiques doivent toujours apprendre à apprendre. Leurs maîtres sont leur expérience et ceux d’entre eux qui ont la formation et le temps d’élaborer ces expériences pour en faire des leçons. Aucune révolution n’existe sans ses propres mécanismes de correction, ses propres voix dissidentes. Mais cela ne signifie pas qu’un processus révolutionnaire devrait être sourd aux critiques ; il devrait les saluer.

Les critiques sont toujours bienvenues, mais sous quelle forme ? Deux formes sont typiques de la « gauche » critique qui tourne en dérision les révolutions au nom de la pureté.

  1. Si la critique est faite du point de vue de la perfection, alors non seulement son niveau est trop élevé, mais elle échoue à comprendre la nature de la lutte de classe qui doit affronter le pouvoir pétrifié hérité des générations précédentes.
  2. Si la critique suppose que tous les projets qui contestent le processus électoral trahiront la révolution, elle fait preuve d’une faible compréhension de la dimension massive des projets électoraux et des expériences de double pouvoir. Le pessimisme révolutionnaire bloque toute possibilité d’action. On ne peut pas réussir si on ne se permet pas d’échouer, et d’essayer encore. Ce point de vue critique ne produit que du désespoir.

La « lutte de classe obstinée » dans le processus révolutionnaire devrait permettre à quelqu’un qui ne participe pas à ce processus d’éprouver de la sympathie non pour telle ou telle politique du gouvernement, mais pour la difficulté — et la nécessité — du processus lui-même.

Roxanne Dunbar-Ortiz

Roxanne Dunbar-Ortiz est une militante chevronnée, professeur d’université et écrivain. Outre de nombreux livres et articles scientifiques, elle a écrit trois mémoires historiques, Red Dirt: Growing Up Okie (Verso, 1997), Outlaw Woman: Memoir of the War Years, 1960–1975 (City Lights, 2002), et Blood on the Border: A Memoir of the Contra War (South End Press, 2005) sur la guerre des Contras contre les sandinistes dans les années 1980; elle est également l’auteur de l’ouvrage récent An Indigenous People’s History of the United States.

Ana Maldonado

Ana Maldonado fait partie du Frente Francisco de Miranda (Venezuela).

Pilar Troya Fernández

Pilar Troya Fernández travaille au Tricontinental: Institute for Social Research.

Vijay Prashad

Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est rédacteur et correspondant en chef pour Globetrotter, un projet de l’Independent Media Institute. Il est le rédacteur en chef de LeftWord Books et directeur de Tricontinental: Institute for Social Research. IL a écrit plus de vint livres, dont The Darker Nations: A People’s History of the Third World (The New Press, 2007), The Poorer Nations: A Possible History of the Global South (Verso, 2013), The Death of the Nation and the Future of the Arab Revolution (University of California Press, 2016) et Red Star Over the Third World (LeftWord, 2017). Il écrit régulièrement pour FrontlineThe HinduNewsclickAlterNet and BirGün.

 

 

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