Disparus: entre l’historia et la memoria

Les disparus politiques en Uruguay, entre

l’histoire et la mémoire

Eugenia Allier Montaño

 

RESUMES

Depuis un certain temps, les discussions sur les passés récents et violents, connus lors des années 1960-1980, sont l’un des enjeux majeurs des espaces publics dans plusieurs pays de l’Amérique du Sud. L’Uruguay, ayant vécu un régime civique militaire fortement répressif entre 1973 et 1985, n’a pas été l’exception. Pourtant, bien que les mémoires publiques sur ce passé aient traversé différentes périodes, c’est la disparition des personnes qui conduit presque toute l’histoire des luttes autour de la mémoire du pays. Dans ce texte, nous nous attelons à tracer l’histoire de la mémoire des disparus politiques dans l’arène publique en Uruguay pour connaître les motifs qu’ont faits des disparus de l’image du passé récent.

Plan

Les événements de la mémoire

Entre la justice et la vérité : juger les militaires et policiers de la dictature ? 1985-1990

La lutte de Familiares

Les enfants disparus

La Commission d’enquête sur la situation des personnes disparues et les faits qui l’ont entraînée

Juger les militaires ? La Loi de caducité et son référendum

La rénovation du débat public et l’exigence de vérité sur les disparus, 1995-2004

Nouvelles demandes

Les derniers mineurs disparus sont retrouvés

La Commission pour la paix

Les nouveautés : vérité, mais aussi justice à nouveau, 2004-2009

Ceux qui n’ont pas une sépulture demandent une réponse

Conclusions

L’Uruguay s’était caractérisé, pendant le 20e siècle, par son respect des droits de l’Homme et par le civisme de son armée. Pourtant, ce pays aux bases « démocratiques » (politiques, sociales et économiques) a finalement connu la dislocation de ses institutions et un régime autoritaire (1973 à 1985), qui a bafoué les droits de l’Homme. En ce sens, il faut dire que le putsch du 27 juin 1973 a eu par causes l’irruption de la guérilla, l’affaiblissement des partis politiques et la participation croissante des forces armées dans la vie politique.

  • 1  Entendu comme arène de confrontation entre les positions et les discours tenus par différents grou (…)

2Le passé récent en Uruguay, étant violent et déchirant (Caetano, Rilla, 1989), a laissé derrière lui un corps social gravement blessé et fragmenté, ainsi que de profondes blessures ouvertes (Viñar, Ulriksen de Viñar, 1993 ; Giorgi, 1995 ; Seminario, 1986). Au lendemain du retour de la démocratie politique, une lutte entre la mémoire et l’oubli de ce passé s’est installée au cœur de la société. L’espace public1 est alors devenu la scène où se jouent les enjeux de la mémoire. Pourtant, même si pendant la dictature civique militaire, de multiples droits de l’Homme ont été violés, depuis 1985 les disparus politiques sont devenus le centre de la mémoire de dénonciation sur le passé récent.

  • 2  Une première version de cet article fut exposée au Colloque « Expériences limites, ruptures et mém (…)

3Dans ce texte2, nous voudrions nous concentrer sur la question des disparus politiques en Uruguay, leur histoire et la mémoire que leur disparition a engendrées dans l’espace public du pays. L’objectif principal est de répondre pourquoi ayant connu de multiples violations des droits de l’Homme, les disparus sont devenus l’axe de la mémoire sur la période civique militaire. Pour y arriver, ce texte est divisé en quatre sections : 1) la première sera consacrée à connaître, même d’une façon rapide, les événements que la mémoire allait récupérer plus tard, c’est-à-dire, les circonstances du passé récent ; 2) la deuxième portera sur la première période de cette histoire, pendant laquelle les questions de la vérité sur les violations des droits de l’Homme, surtout celles concernant les disparus, et celle de la justice (le jugement des militaires et policiers de la dictature) ont primé sur l’espace public jusqu’au référendum sur la Loi de caducité en 1989 ; 3) la troisième traitera de la période pendant laquelle il y a eu une rénovation du débat public, de nouvelles circonstances politiques qui ont fait changer les exigences concernant les disparus ; 4) la quatrième essayera une approximation aux causes qui ont fait des disparus l’axe de la discussion publique sur le passé récent. Enfin, nous ajouterons certaines conclusions.

Les événements de la mémoire

4Jusqu’aux années 1960, l’Uruguay était considéré comme la « Suisse d’Amérique », à cause de son économie toujours croissante (du moins jusqu’aux années 1950), à son niveau socioculturel et à ses politiques sociales tendant à une certaine égalité dans la répartition des fruits de la vie économique.

  • 3  Les partis traditionnels, comme on les appelle, ont pris leurs racines au 19e siècle, car ils ont (…)
  • 4  Le Front ample se constitua en 1971, en tant que coalition intégrée par divers partis de gauche et (…)

5Le système politique s’est consolidé pendant les premières décennies du 20e siècle avec les partis Colorado et National3. Le régime uruguayen était donc considéré indiscutablement comme bipartite jusqu’aux années 1970, où le Front ample a fait son apparition4. Quant à la situation économique, entre 1947 et 1958, l’Uruguay a connu une période de véritable prospérité économique, les secteurs industriels constituant le moteur du système économique en général. Mais au milieu des années 1950, l’économie a perdu de son dynamisme et la croissance a été pratiquement nulle.

6Les affrontements entre groupes sociaux et économiques se sont alors intensifiés, car le déclin économiqueet la baisse des salaires constituaient un puissant détonateur de la tension sociale. Les canaux traditionnels de représentation politique s’avéraient de plus en plus inadéquats. Face aux manifestations de protestation de plus en plus fréquentes et à l’organisation des secteurs salariés, le gouvernement de Jorge Pacheco Areco (Parti Colorado, 1967-1971) a répondu par un croissant durcissement de la répression.

  • 5  Sur les Tupamaros et leur mémoire sur le passé récent, cf. Allier Montaño, 2008.

7Dans ce contexte d’aggravation de la crise économique et politique, la guérilla du Mouvement de libération nationale-Tupamaros (MLN-T) a fait son apparition, en se posant comme une rupture avec le système politique. Sa première action armée publique a eu lieu en 1963. Plus tard, ils ont commencé à dévaliser des banques et à s’emparer de camions chargés d’aliments avec l’idée de répartir leur butin au sein des classes populaires. Beaucoup ont vu dans ces actions une remise au goût du jour du mythe de « Robin des Bois » : ils volaient les riches pour donner aux pauvres. Et à cette époque, ces actions les ont rendus très populaires. Pourtant, en 1966, année du premier affrontement armé avec la police et de la mort d’un de leurs militants, la société a comprit la véritable dimension armée de l’action des Tupamaros. On a parlé dès lors de la « violence clandestine révolutionnaire » et les Tupamaros n’ont plus joui de la même popularité5.

  • 6  Durant les années 1970, les forces armées ont utilisé ce terme pour désigner tout à la fois les Tu (…)

8Considérant que seules les forces armées avaient la capacité de faire face à la guérilla, le gouvernement les a chargés de la lutte contre la « subversion »6 en septembre 1971. Cette décision a inversé du tout au tout le rapport de force entre les Tupamaros et le gouvernement. En 1972, pratiquement tout l’appareil armé du MLN avait été défait par les forces armées : ses membres étaient en prison ou étaient partis en exil dans différents pays latino-américains ou européens.

9Dans ce contexte de tension politique, sociale et économique, le 27 juin 1973 le président de la République, Juan María Bordaberry (Parti Colorado, 1972-1976), a ordonné la diffusion du décret de la dissolution des Chambres et la création d’un Conseil d’État. L’armée a occupé le Palais Législatif. Gerardo Caetano et José Rilla (1989) ont fait une périodisation de la dictature que la plupart des chercheurs considèrent très pertinente : 1) la « Dictature de commissariat », 1973-1976, caractérisée par la répression et le contrôle autoritaire sur la population ; 2) la « Tentative de fondation », 1976-1980, pendant laquelle le gouvernement a cherché la légitimité du régime face à la société à travers un projet constitutionnel, que la population a refusé dans le référendum du 30 novembre 1980 ; 3) la « Transition à la démocratie », 1980-1985, signée par les négociations entamées entre les militaires et les partis politiques pour trouver une sortie de la dictature.

  • 7  Les chiffres sur les disparus sont une affaire en construction. Si jusqu’à il y a peu on pensait q (…)

10Un des objectifs prioritaires des putschistes était l’extermination des « subversifs ». Pour parvenir à ses fins, l’armée considérait que toutes les méthodes étaient permises. C’est pourquoi le bilan des violations des droits de l’Homme commises par la dictature était lourd. Des milliers de personnes avaient été licenciées pour motifs politiques, et ce, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. 3 500 à 5 000 personnes avaient été emprisonnées. Une trentaine de militants de gauche avaient « disparus » après leur enlèvement et 130 Uruguayens avaient subi le même sort en Argentine7, au Chili et au Paraguay. S’ajoutaient à ces morts par « disparitions » l’assassinat de près de 150 militants politiques, la disparition de 16 mineurs. Enfin de 1968 à 1985, quelque 250 000 à 300 000 personnes ont dû s’exiler pour des motifs politiques (Servicio Paz y Justicia, 1989).

  • 8  C’est pourquoi en Uruguay la dictature est considérée comme civique militaire et pas seulement com (…)

11Pendant toute la dictature civique militaire, l’action de l’opposition a dû se restreindre en raison de la répression. Les partis hibernaient ou affrontaient de nombreuses difficultés pour organiser une résistance contre la dictature. L’organisation politique était presque inexistante, sauf l’opposition clandestine et celle qui se reconstituait dans l’exil. La plupart des organisations du Front ample ont été proscrites, ainsi que certains secteurs du Parti national (même si plusieurs de ses membres ont soutenu la dictature), pendant que la plupart des secteurs du Parti Colorado ont non seulement soutenu le régime civique militaire, mais aussi participé dans le gouvernement8. Dans les années suivantes, comme nous allons le voir, les positions politiques prises par chaque parti pendant la dictature allaient définir leurs positions dans les luttes autour de la mémoire sur le passé récent.

Entre la justice et la vérité : juger les militaires et policiers de la dictature ? 1985-1990

12Une fois terminée la dictature civique militaire, différents secteurs de la société se sont engagés dans une âpre bataille pour obtenir des réparations pour les victimes. En ce sens, dans cette section, nous allons analyser la première période de cette bataille que, ayant eu comme centre les discussions sur la pertinence du jugement des militaires et policiers de la dictature (et pendant laquelle plusieurs mécanismes de réparation ont été initiés), a pris fin avec le référendum sur la Loi de caducité qui empêchait tout jugement.

  • 9  En 1989, dû à des différences pour designer le candidat commun pour les élections présidentielles, (…)

13Au lendemain du retour de la démocratie politique, une lutte entre le souvenir et l’oubli du passé récent s’est installée au cœur de la société. Depuis, l’espace public a été aussi bien un espace où se sont joué les batailles des usages politiques de ce passé, qu’un espace où l’on a cherché de trouver des solutions négociées pour faire face à un passé qui « ne passe pas ». S’il existe entre le blanc et le noir toute une gamme de gris, il vaut la peine de remarquer que ceux qui ont cherché à ce que l’on se souvienne du passé l’ont fait à l’aune d’une mémoire de dénonciation : ces années sont définies comme celles de la violation des droits de l’Homme par l’État et du « terrorisme d’État ». Quelles que soient leurs divergences sur ce sujet, c’est cette perspective qui a été adoptée dans les différentes périodes de cette histoire par les organisations de défense des droits de l’Homme, les multiples groupes des victimes de la répression, le Front ample, le Nouvel espace9 et des secteurs minoritaires du Parti national. Ceux qui ont cherché à oublier le passé, les forces armées, le Parti Colorado et la majorité du Parti national s’en sont souvenus, quand cela leur a été nécessaire, comme de l’époque de la « guerre » (résultant du « terrorisme subversif ») où tous les « excès » avaient été justifiés : une mémoire d’éloge.

14Avec des blessures toujours à vif, conséquence du régime civique militaire, les Uruguayens ont été pris dans des discussions passionnées sur les multiples thématiques associées au passé immédiat. Les conséquences des années de violence politique et de dictature étaient à fleur de peau dans une société qui devait se confronter tant à son passé qu’à son présent et à son futur pour retrouver son identité comme nation. Nommer et expliquer ce qui s’était passé a été pour beaucoup un impératif incontournable. Si les décennies 1960, 1970 et la première moitié de la décennie 1980 avaient été marquées du sceau des affrontements politico-militaires, l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement constitutionnel ne changerait rien concernant la politique. Les différents secteurs engagés dans ces affrontements travailleraient à ce que leurs visions de ces événements, non seulement pèsent, mais s’imposent dans le débat public. Nommer le passé et arriver à ce que leurs mises en récit du passé s’imposent au restant de la société est devenu non seulement une manière de poursuite des combats passés, mais aussi une façon de les « remporter » au présent. Et plus encore, on eut conscience que de l’issue de ce combat dépendrait la possibilité de traduire en justice les militaires et les policiers accusés de violations des droits de l’Homme.

15Le 1er mars 1985, Julio María Sanguinetti (Parti Colorado, 1985-1990) devenait le président de l’Uruguay. Très vite, son gouvernement allait se heurter tout particulièrement à deux problèmes qui réclamaient une solution : la reconstruction économique et les violations des droits de l’Homme. Même si ces deux sujets constituaient un legs de la dictature civique militaire, la dernière problématique est apparue comme une question relevant non seulement du passé, mais aussi du présent et du futur. Un sujet lié à cette question était les relations du gouvernement avec les forces armées, qui occupaient également une place centrale dans les préoccupations politiques du gouvernement Sanguinetti. En ce sens, le thème des réclamations et des plaintes déposées devant les tribunaux par la société civile contre les militaires constitua l’axe de la « question militaire » au cours de cette période (Alcántara, Crespo, 1992).

16La consolidation de la nouvelle démocratie, sa construction, passait par la résolution de cette problématique. La paix, le pardon, la justice et la vérité ont été les enjeux au cours de cette période. Le gouvernement estimait que la démocratie ne serait restaurée qu’à travers la paix, le pardon et l’oubli, afin que tous les Uruguayens puissent vivre ensemble. Le Front ample, certains secteurs du Parti national, les syndicats, les ong de défense des droits de l’Homme et les parents de disparus, considéraient que la consolidation de la démocratie ne serait possible que grâce à la connaissance et la reconnaissance des violations des droits de l’Homme (la « vérité ») et les jugements (la « justice ») des personnes qui les avaient commises. Les deux factions parlaient de « paix », mais les divergences portaient sur la façon d’y parvenir.

  • 10  Le 8 mars 1985, l’amnistie pour les prisonniers politiques fut adoptée par les partis à travers la (…)
  • 11  La Loi de Pacification nationale a pris également en compte cette situation : ainsi, en vertu de l (…)
  • 12  La Loi de réhabilitation des destitués (n° 15 783), adoptée le 25 novembre 1985, a pris en compte (…)

17Concernant les violations des droits de l’Homme, quatre questions semblaient urgentes de solution : 1) la libération des prisonniers politiques qui étaient encore emprisonnés dans les prisons de la dictature10 ; 2) le retour des exilés politiques qui étaient partis dans plusieurs pays du monde entre la fin des années 1960 et 198411 ; 3) la réintégration des fonctionnaires publics, qui avaient été destitués par la dictature, à leurs postes de travail12 et 4) l’exigence pour connaître le sort des disparus.

La lutte de Familiares

  • 13  Ci-après appelé Familiares. Sur leur histoire, cf. Demasi, Yaffé, 2005 ; Madres y Familiares de Ur (…)

18Si tous les groupes de défense de droits de l’Homme ont lutté depuis la fin de la dictature pour connaître la vérité sur les violations des droits de l’Homme, l’Asociación de Madres y Familiares de Uruguayos Detenidos Desaparecidos (Mères et parents d’Uruguayens détenus-disparus13), étant le groupe le plus affecté, s’est engagé dans une lutte sans trêve pour apprendre le sort des disparus.

  • 14  Il faut rappeler que les différentes dictatures en Amérique du Sud ont recouru à des formes spécif (…)

19Contrairement à l’Argentine où, dès la fin de la dictature et le début des gouvernements constitutionnels, la population a exigé l’apparition des personnes portées disparues et le châtiment des tortionnaires (Kordon, Edelman, Lagos, 1997), en Uruguay cette exigence n’était pas aussi massive : la demande d’amnistie générale pour les prisonniers politiques occupait le premier plan dans un pays où la prison était devenue la méthode de répression la plus généralisée14. C’est pourquoi les objectifs de Familiares étaient alors multiples. D’un côté, ils considéraient nécessaire d’inclure le thème des disparus dans l’espace public, et faire en sorte que les partis politiques se fassent l’écho de leurs revendications, afin de pousser le gouvernement à admettre l’existence de la problématique des disparitions et à collaborer à la localisation des corps.

20Si, dans la sphère privée, certaines familles de personnes portées disparues pouvaient garder l’espoir de revoir leurs proches vivants, ces espoirs se sont évanouis avec la libération des derniers prisonniers politiques.

Les premiers temps, je pensais toujours le retrouver. Comme toutes les mères, comme tous les proches qui recherchaient [les disparus]. Personne n’imaginait au début –du moins, moi je ne l’imaginais pas– que nous n’allions plus les revoir. J’ai toujours cru que j’allais le retrouver, qu’il devait être en prison –parce qu’ici ils ont été emprisonnés à plusieurs reprises […] Puis nous nous sommes rendu compte qu’on n’avait aucune chance de le retrouver en vie (Entretien avec Milka González).

21La consigne « ils les ont emmenés vivants, vivants nous les voulons » a cessé d’être l’étendard du groupe : au début du premier gouvernement civil, Familiares a commencé à exiger « justice et vérité », c’est-à-dire le jugement des militaires et des policiers auteurs de violations des droits de l’Homme, et la « vérité » sur les disparus politiques. Ils avaient le soutien des organisations de défense des droits de l’Homme, du Front ample, de certains secteurs du Parti national et des syndicats.

22Les familles ont mis l’accent sur le cas des mineurs disparus, estimant qu’ils pouvaient être encore en vie. Si cette revendication figurait au premier plan, c’est aussi parce qu’elle permettait à ces familles de contrecarrer la réaction classique d’une partie de la société à l’égard des adultes portés disparus (« ils ont dû tremper dans quelque chose ») en mettant en avant le cas des « petits innocents ». Pourtant, le traitement de la question ne se limitait pas au seul cadre éthique de la violation des droits de l’Homme. Tout d’abord, le thème fut traité sous l’angle de la dénaturalisation de la famille. En second lieu, en tant que violation des normes du droit positif relatif à la filiation et aux liens de parenté légitimes. En troisième lieu, cette dénaturalisation était accentuée par le fait que la majeure partie de ces enfants étaient aux mains de familles de répresseurs responsables de la disparition des parents. Enfin, le thème était traité en terme politique (Perelli, Rial, 1986).

Les enfants disparus

23La localisation des enfants disparus a revêtu une importance décisive tant du point de vue familial que social, car elle rendait possible une certaine élaboration du passé dans la société (confirmant ainsi la véracité de la répression dans la dictature) et la recomposition des liens familiaux dans les foyers détruits par le régime civique militaire ; elle a également permis aux jeunes de retrouver leur identité familiale et sociale d’origine.

  • 15  Sous la dictature, deux enfants uruguayens disparus ont été localisés : Anatole et Eva Lucia Julie (…)
  • 16  Centre de détention clandestin à Buenos Aires, Argentine.

24Au cours de cette période, deux enfants disparus ont été retrouvés et ont pu récupérer leur identité d’origine15 : Amaral García Hernández (disparu en Argentine le 8 novembre 1974 avec ses parents, Floreal García et Mirtha Hernández, il a été localisé en 1985 en Argentine) ; et Verónica Leticia Moyano Artigas (née dans le centre de détention clandestin Pozo de Banfield16, où ses parents étaient détenus, elle a été localisée en 1987 en Argentine). Ils ont été localisés après un intense travail de recherche d’informations obtenues notamment grâce aux témoignages d’anciens prisonniers et de quelques militaires et, bien entendu, grâce au courage des grands-mères. Une fois ces enfants retrouvés, d’âpres batailles judiciaires ont été livrées pour leur restituer leur identité et pour que leurs familles d’origine puissent les récupérer.

25Pour les enfants disparus, la vie n’a pas été toujours facile : ils vivent tous une histoire jalonnée de ruptures et de rencontres et ils se posent des questions sur leur identité, une identité difficile à définir et à trouver. Si pour les familles biologiques de ces jeunes la question de l’ « identité » allait de soi, pour eux il n’a pas toujours été évident que leur « identité de naissance » constituait leur « véritable identité ». Chacun l’a vécu de façon différente : certains ont pu assumer rapidement leur « identité d’origine », d’autres non. Certains se sont révoltés contre leur famille biologique, d’autres ont été heureux de connaître leurs origines. Mais beaucoup conservent des liens avec les deux familles : celle qui leur a donné la vie et celle au sein de laquelle ils ont grandi. Ils puisent leurs racines identitaires dans les deux familles, dans une histoire troublée qu’ils ont dû vivre depuis leur plus jeune âge.

La Commission d’enquête sur la situation des personnes disparues et les faits qui l’ont entraînée

26Étant donné que la question de disparus était sensible en Uruguay, en 1985, la chambre des députés a créé la Commission d’enquête sur la situation des personnes disparues et les faits qui l’ont entraînée, chargée « d’enquêter sur les personnes disparues durant le processus militaire qu’a subi le pays, et les faits qui ont entraîné ces disparitions » (« Informe de la Comisión Investigadora … », 7 novembre 1985 : 516. Traduction de l’auteur). Cette Commission a été constituée sur la base de la représentation des partis politiques au Parlement : deux députés du Front ample, quatre représentants du Parti national et cinq du Parti Colorado. Cette Commission a travaillé du 9 avril au 7 novembre 1985, et son travail a été confidentiel « afin de préserver l’intégrité des personnes qui collaboraient à ce travail d’enquête et de ne pas gêner le bon fonctionnement de la Commission » (« Informe de la Comisión Investigadora … », 7 novembre 1985 ; 504. Traduction de l’auteur).

27Examinons quelques-unes des principales conclusions du rapport. Tout d’abord, la Commission a inclus une liste alphabétique des 164 Uruguayens portés disparus et indiquait les lieux de disparition (24 en Uruguay et 132 en dehors du pays : 127 en Argentine, 3 au Chili et 2 au Paraguay). En outre, on affirmait, d’une part, qu’il existait un lien clair entre les disparitions survenues en Uruguay et en Argentine, ainsi qu’une évidente participation de 64 militaires uruguayens dans les disparitions survenues en Argentine. D’autre part, on confirmait que la torture avait été pratiquée dans tous les établissements où les personnes portées disparues avaient été incarcérées. Ils ont assuré qu’il s’agissait d’un régime militaire qui, « […] en utilisant les tortures, les séquestrations, les disparitions et les morts, a prétendu renverser l’ordre et changer un État de droit par un régime de terreur » (« Informe de la Comisión Investigadora … », 7 novembre 1985 ; 516. Traduction de l’auteur).

28Pourtant, le rapport déchargeait les forces armées de la responsabilité des faits en tant qu’institution : cette responsabilité était attribuée à des individus qui appartenaient au corps militaire et qui avaient outrepassé leurs droits en appliquant certaines méthodes : « La Commission ne peut conclure que ces irrégularités soient imputables à des décisions organiques. » […] « Il y a, en revanche, des indices fondés sur l’existence d’éléments policiers et militaires, qui font l’objet de plaintes réitérées et dont la position est sérieusement compromise » (« Informe de la Comisión Investigadora … », 7 novembre 1985 ; 517. Traduction de l’auteur).

29Si déjà le fait d’exempter les forces armées de toute responsabilité en tant qu’institution pouvait être controversé, la conclusion suivante était encore plus polémique, car le rapport niait les motifs politiques de la répression : « [Dans le cas de l’Uruguay], et bien que de hauts officiers militaires soient compromis, les motivations semblent relever d’un règlement de compte obéissant à des motifs personnels et liées à des activités de délinquance commune » (« Informe de la Comisión Investigadora … », 7 novembre 1985 ; 517. Traduction de l’auteur).

30Le rapport soulignait que ces faits ne pouvaient survenir que dans une société qui avait perdu le contrôle des institutions démocratiques et où « la décadence de certains hommes bénéficie d’une totale impunité pour leur action monstrueuse ». On affirmait qu’il était du devoir du Parlement « de s’exprimer aujourd’hui, au nom d’un peuple qui, réduit au silence par la force, n’a pas pu alors dénoncer ces faits devant la Justice ». Enfin, le rapport assurait que le Pouvoir législatif était parvenu à ces conclusions « dans le cadre d’une enquête menée dans les limites constitutionnelles » et qu’il correspondait désormais au Pouvoir judiciaire de poursuivre l’investigation (« Informe de la Comisión Investigadora … », 7 novembre 1985 ; 517. Traduction de l’auteur). Le rapport a été approuvé par tous les partis politiques, et le Parlement a recommandé de transférer les dossiers à la Cour Suprême de Justice et au Pouvoir exécutif.

31En outre, on a créé la Commission d’enquête sur la séquestration et les assassinats perpétrés contre les ex- parlementaires Héctor Gutiérrez Ruiz et Zelmar Michelini, qui a travaillé du 9 avril 1985 au 13 octobre 1987. Michelini était un des fondateurs du Front ample, et représentait ce parti politique au Sénat jusqu’au coup d’État de 1973. Gutiérrez Ruiz était député du Parti national et président de la Chambre des Députés jusqu’à la dissolution du Parlement par les militaires en 1973. Les deux parlementaires s’étaient réfugiés en Argentine à la suite du coup d’État en Uruguay. Ils ont été assassinés à Buenos Aires le 20 mai 1976. Le rapport final de la Commission apportait un abondant matériel documentaire, plusieurs témoignages et d’incontestables indices sur la participation de fonctionnaires uruguayens et argentins dans les assassinats, mais aucun nom ou preuve concluante qui permettait de porter une accusation concrète.

32Il convient de souligner un aspect lié à ces deux commissions, qui nous aidera à comprendre comment et pourquoi, à la fin des années 1990, s’est transformée la mémoire du passé récent. De multiples violations des droits de l’Homme ont eu lieu en Uruguay ; nonobstant, deux commissions seulement se sont formées pour enquêter sur les faits survenus durant le régime civique militaire : l’une pour élucider l’assassinat de Michelini et de Gutiérrez Ruiz, et l’autre, pour enquêter sur la question des disparus. Les autres formes de répression exercée par la dictature ont été ignorées, y compris la modalité principale de répression instaurée par les forces armées en Uruguay : la prison. On partait peut-être de l’idée que cette question était résolue avec la libération des milliers de prisonniers (en vertu de la Loi de Pacification nationale), et avec l’attention que différentes ong prêtaient aux ex-détenus. Il n’en reste pas moins que, dès le début, seuls deux thèmes liés au passé récent semblaient s’installer dans l’espace public de discussion : les personnes portées disparues et la mort de politiques notoires. Cela allait peut-être créer une empreinte difficile à effacer à l’avenir, qui demeurerait gravée comme l’image fondamentale de la dictature pour un secteur de la société uruguayenne. C’est-à-dire, la mémoire laissait des traces qu’il serait difficile de transformer par la suite : les personnes portées disparues commençaient indiscutablement à occuper une place centrale dans le débat public sur le passé récent.

Juger les militaires ? La Loi de caducité et son référendum

33L’exigence de jugement pour les militaires et policiers a occupé le centre du débat au cours de cette période. La demande de « vérité et justice » émanait de toutes les organisations des droits de l’Homme. Si la question de la vérité a été traitée à travers les deux Commissions parlementaires créées à cet effet, celle de la justice se heurta à la résistance de certains acteurs politiques.

  • 17  Le Parti national joignit au projet un exposé des motifs dans lequel ils ont déclaré assumer leur (…)

34En décembre 1986, les tribunaux de Justice enquêtaient sur plus de 700 cas de violations des droits de l’Homme. Les premiers militaires cités à comparaître pour répondre aux accusations devaient se présenter le 22 décembre. À la suite de ces événements, ainsi que de la discussion publique sur la pertinence de juger ou non les militaires, le 17 décembre, le Parti national a présenté dans le Parlement le projet de la Loi de caducité de la prétention punitive de l’État (n° 15 848) qui mettait fin aux procès en cours et à l’exercice de la prétention punitive de l’État vis-à-vis des militaires et policiers accusés d’avoir commis des actes délictueux avant le 1er mars 198517. Cette loi, connue aussi sous le nom de Loi d’impunité en Uruguay, a été le résultat d’intenses négociations menées jusqu’à la nuit du 20 décembre par les principaux dirigeants des partis traditionnels.

  • 18  Dans les batailles entre le souvenir et l’oubli du passé récent, Sanguinetti a opté pour l’oubli, (…)

35Le dimanche 21 décembre, le Sénat a approuvé cette initiative (par 22 voix sur 31). Le lendemain, la Chambre des Députés a ratifié le projet (par 60 voix sur 97). Le 22 décembre, le président de la République a promulgué la loi. Examinons quelques-uns des principaux points de cette loi, dont le noyau central est constitué par les articles 1-4 du chapitre I, les 12 autres concernant des aspects d’organisation interne des forces armées. Dans son article 1er, la loi accordait l’amnistie. L’article 2 portait sur les cas non inclus dans la loi : ceux ayant fait l’objet d’arrêts d’accusation jusqu’à la date de promulgation de la loi, et les délits économiques. L’article 3 stipulait que, pour toute plainte déposée devant la Justice, le juge devait en informer le président de la République afin que celui-ci détermine si les faits étaient ou non compris dans l’article 1er. L’article 4, dont il sera souvent question dans les années suivantes, accordait que, dans les cas de personnes et de mineurs disparus, le Pouvoir exécutif devait ordonner l’ouverture d’une enquête (ce qui signifiait, en réalité, que les enquêtes, qui étaient normalement du ressort des juges civils, étaient aux mains de l’exécutif). Alors, bien que la Loi de caducité ait laissé la porte ouverte aux jugements des délits économiques (qui n’auront finalement pas lieu) et aux investigations sur le sort des disparus (ce qui, jusqu’en 2004, ne fut pas non plus totalement appliqué), on peut considérer que cette loi était une sorte de décret gouvernemental de l’oubli18.

  • 19  Selon l’article 79 de la Constitution, 25% du total des personnes habilitées à voter peuvent inter (…)

36Après l’adoption de la Loi de caducité, Familiares, les organisations de défense des droits de l’Homme, les partis de gauche et certains secteurs du Parti national ont lancé un appel pour convoquer un référendum contre cette loi19. La Commission nationale pour le référendum s’est constituée formellement le 28 janvier 1987. Le chemin pour arriver au référendum était long et sinueux (du 22 février 1987 jusqu’au 19 décembre 1988), mais finalement les signatures nécessaires pour sa réalisation ont été rassemblées.

37Le référendum a eu lieu le 16 avril 1989. Le résultat du vote était en faveur du maintien de la loi. Effectivement, ce dimanche-là, 1 082 454 votants sur un total de 2 283 597 (soit 56,1 %) ont choisi le bulletin jaune (en faveur de la loi), tandis que 799 109 (43,9 %) ont voté vert (contre la loi).

38Un document du groupe Familiares analysait les raisons du triomphe du vote jaune : la peur ; la « fausse équivalence » entre l’impunité et la loi d’amnistie pour les prisonniers politiques ; la propagande pour la paix en tant que défense du statu quo ; le scepticisme (« pourquoi, cela n’en vaut pas la peine ») ; l’incertitude sur l’avenir (beaucoup de citoyens étaient convaincus que, même si la loi était annulée, les coupables ne seraient pas jugés). Selon Familiares, le fait que les Uruguayens résidant en dehors du pays n’avaient pas pu voter, et que le vote était obligatoire, a influé sur les résultats. Finalement, le groupe considérait que, malgré la défaite, les citoyens « étaient beaucoup mieux informés sur les droits qu’il fallait veiller à faire respecter » (Madres y Familiares de Uruguayos Detenidos Desaparecidos, 1990 : 78. Traduction de l’auteur). Un membre de Familiares considérait que la peur était liée à la fatigue :

Je pense qu’il y a beaucoup de facteurs. Un : la peur, sans aucun doute ! et cela le gouvernement l’a utilisé. Le gouvernement a fait campagne pour le bulletin jaune, le porte-étendard de la Loi de caducité était le vice-président de la République. […] Je pense que la peur a joué, les moyens de communications ont pesé, et je pense que le “ça suffit, arrêtez de nous embêter, il faut en finir avec ce thème, il faut régler cette question maintenant qu’on a l’occasion de le faire” a aussi joué. Mais je crois aussi que beaucoup de personnes qui ont voté alors [pour le bulletin] jaune, ne le feraient plus aujourd’hui […] (Témoin 1, membre du groupe Familiares).

  • 20  Dans la capitale, la position du gouvernement a été vaincue. L’Intérieur se montrait plus réfracta (…)
  • 21  Cette peur avait différentes facettes : peur de perdre son travail, le droit à la retraite et aux (…)
  • 22  La question de l’avenir de la démocratie a influé fortement sur les résultats du référendum. Elle (…)
  • 23  Les Partis Colorado et national ont soutenu le vote jaune, tandis que le Front ample, le vert. Si (…)

39Pourquoi le vote jaune fut-il majoritaire ? À notre avis, plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, entre autres, les différences politiques traditionnellement associées à la capitale, Montevideo, et l’intérieur du pays20 ; la peur21 ; la « prudence », ajoutée au « conservatisme » uruguayen ; le désir de préserver la démocratie22 ; l’influence des positions des différents partis politiques, en faveur ou contre la loi23.

40En tout cas, les résultats du référendum ont mis, apparemment, le point final à un débat de quatre ans sur la pertinence de juger ou non les militaires et policiers de la dictature. Et pourtant, la Loi de caducité laissait ouverte la question du sort des disparus, car l’article 4 permettait l’ouverture des enquêtes si le Pouvoir exécutif le considérait adéquat.

La rénovation du débat public et l’exigence de vérité sur les disparus, 1995-2004

41Dans les débats sur le fonctionnement de la mémoire, il y a deux positions bien marquées : celle qui considère que le souvenir dans le présent est un simple résultat de la récupération du passé, connue comme « conservatrice », et celle qui argue que la mémoire dépend des enjeux du présent (Halbwachs, 1997 ; Ricœur, 2000), appelée « présentiste ». Les façons dans lesquelles la mémoire des disparus en Uruguay a fonctionné semblent appuyer la théorie présentiste. Car si la mémoire publique s’est estompée avec le référendum sur la Loi de caducité, plusieurs changements politiques et sociaux ont renouvelé les discussions sur les disparus, en entraînant des modifications dans les positions des organisations des droits de l’Homme. Dans cette section, nous allons nous concentrer sur ces modifications.

  • 24  Il faut mentionner qu’entre 1990 et 1995, seule une petite disparue a été localisée : Mariana Zaff (…)

42Après le référendum d’avril 1989, les organisations de défense des droits de l’Homme, le groupe Familiares, les syndicats et les partis politiques qui avaient lutté pour établir la justice et la vérité sur les violations des droits de l’Homme se sont éclipsés de la scène publique et de discussion24, en considérant que la question avait été réglée d’une façon démocratique :

Je crois que l’une des tragédies de la Loi de caducité, puis du référendum –mais surtout de la Loi de caducité–, c’est qu’elle a tué l’espoir. […] Le 1er mars 1985, nous étions les maîtres du monde, tout était à portée de main, et en l’espace d’un an et demi, ils nous ont détruits, ils nous ont volé l’espoir, et nous nous sommes effondrés […]. (Témoin 1, membre du groupe Familiares).

43Après le référendum, un même état d’esprit s’instaurait parmi les membres de Familiares et de plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme : la désolation semblait l’emporter et remettre en question la façon d’affronter l’avenir. Plusieurs parents ont songé à abandonner la lutte pour la vérité et la justice. Selon un membre de Familiares :

[En 1985…] nous avions des assemblées de 30 personnes. Après le plébiscite, des membres du groupe nous ont demandé de fermer le local, car il n’y avait plus rien à faire d’après eux. Ce n’était pas seulement les agences qui nous donnaient de l’argent –pour des brochures ou des bulletins d’informations–, qui nous disaient “il n’y a plus d’argent parce que le problème est résolu”, des parents disaient “fermons le local, nous n’avons plus rien à faire” ; et nous, une autre partie des parents, nous avons dit “non, nous n’allons pas fermer, nous allons rester, même si personne ne se souvient que nous sommes là, nous allons ouvrir tous les jours” ; et nous avions toujours une visite, de gens venus de l’étranger, ou d’étudiants. Je peux te dire : bien que Familiares n’apparaissait nulle part dans la presse, les portes sont restées ouvertes. […] Nous buvions du maté et nous causions. Mais nous étions là, tu comprends ? (Entretien avec Luisa Cuesta).

44Ainsi, après les résultats du référendum sur la Loi de caducité, on a pu observer le début d’une période d’absence du débat public sur la prédictature et la dictature. Et bien que certains épisodes de violence liés à ce passé aient eu lieu après 1989 (comme l’assassinat en Uruguay du biologiste chilien Eugenio Berríos qui devait témoigner aux procès de militaires au Chili), ils n’ont pas suscité de discussion. En réalité, ils ont provoqué à nouveau la peur, car on pouvait constater que la violence pouvait ressurgir dans le présent. Néanmoins, il faut signaler que, sous cette toile de fond de silence et d’oubli, Familiares et diverses organisations de défense des droits de l’Homme ont continué un travail qui, bien que de faibles répercussions publiques, n’en a pas été moins important.

  • 25  Plus de cinq mille détenus politiques ont été assassinés à l’esma. On leur faisait croire qu’ils a (…)

45Pourtant, en 1995 de nouvelles circonstances et de nouveaux éléments ont entraîné le retour des débats sur le passé dans l’arène publique. Surtout, ça a été un événement survenu en Argentine qui a réactivé la discussion publique en Uruguay : le 3 mars 1995, le journaliste Horacio Verbitsky présentait à Buenos Aires son livre, El vuelo, dans lequel le capitaine de corvette Francisco Scilingo dénonçait les violations des droits de l’Homme commises à l’École de Mécanique de l’Armée (esma) de Buenos Aires et ce qu’on appelait les « vols de la mort »25. Un mois plus tard, le commandant de l’armée de terre Martin Balza a fait un mea-culpa à la télévision : il a reconnu l’assassinat des détenus politiques.

  • 26  Créé en 1996, Hijos [Fils] regroupe des enfants de disparus politiques, d’exilés, de personnes ass (…)
  • 27  Parents des Assassinés pour des Motifs Politiques a été créée en 2000, et rassemble les mères, épo (…)

46C’est également sous l’influence d’éléments internes que la réactivation du débat a commencé. Parmi les circonstances internes, il convient de souligner la constante activité de Familiares (prête à apparaître sur la scène publique au moment voulu), l’apparition de nouvelles générations sur la scène publique, la relative force des mouvements sociaux (Robertt, 1998), ainsi que la naissance de nouveaux groupes qui sont venus s’incorporer au secteur de la société qui réclamait la vérité : Hijos26, Familiares de Asesinados por Razones Políticas27 et des groupes d’ex-prisonniers politiques.

Nouvelles demandes

  • 28  Jour de l’assassinat de Zelmar Michelini et Héctor Gutiérrez Ruiz, en 1976, à Buenos Aires, en dém (…)
  • 29  Paradoxalement, c’est la date de l’assassinat (et non de la disparition) des deux législateurs qui (…)

47Pourtant, les demandes publiques de Familiares et des autres organisations de défense de droits de l’Homme et des partis politiques n’étaient plus les mêmes qu’avant 1989. La Loi de caducité empêchait la comparution des militaires devant la Justice civile. Ainsi, on demandait pas la justice, mais plutôt la vérité et la mémoire. Ces nouvelles demandes se sont cristallisées dans les « manifestations du silence », dont la première a été organisée en 1996, à la suite de l’appel lancé par le sénateur Rafael Michelini, du Nouvel espace (cf. note 9). Les organisations qui ont appelé à manifester se sont mises d’accord sur la date : la nuit du 20 mai28. Selon les organisateurs, plus de cinquante mille personnes ont participé à cette première marche nocturne, sous le slogan « vérité, mémoire et jamais plus ». Depuis lors, tous les 20 mai une manifestation a lieu à la mémoire des disparus politiques, et chaque année le nombre de participants augmente. Les « manifestations du silence » se sont centrées sur le thème des disparus, oubliant les autres violations des droits de l’Homme commises sous la dictature29.

48Ainsi, le thème de la violence dans le passé récent réapparaissait dans l’espace public, mais avec de substantielles différences par rapport à la première étape post-dictature. Quant aux exigences, nous l’avons déjà vu, on ne parlait plus de justice, mais de mémoire et de vérité. En ce qui concerne les droits de l’Homme revendiqués, et s’il est vrai qu’il y eut plus ou moins des fluctuations à partir de 1999, il apparaît comme une constante que le thème non résolu était celui des disparus.

Les derniers mineurs disparus sont retrouvés

49Cette période de l’histoire à laquelle nous nous référons a été l’une des plus fécondes en ce qui concerne la localisation des bébés enlevés durant la dictature civique militaire et qui sont devenus aujourd’hui des hommes et des femmes : Carlos De Luccía Leiro (enlevé en 1977 à Buenos Aires, avec ses parents, a été localisé le 14 juin 1995 en Argentine) ; Andrea Hernández Hobbas (kidnappée à Buenos Aires en 1974, a récupéré son identité en 1998) ; Carmen Gallo Sanz (née dans le centre de détention clandestin Pozo de Banfield en 1977, où sa mère était détenue, a été localisée en 1999 en Argentine) ; María Macarena (fille des Argentins, petite-fille du poète argentin Juan Gelman, a été localisée en Uruguay en 2000) ; Simón Riquelo (disparu en 1976, a rencontré sa mère à Buenos Aires en 2002).

50Nous considérons qu’avec la localisation de Carlos, Andrea, Carmen et Simón, se termine le chapitre des « enfants disparus » en Uruguay. Selon le groupe Familiares (Madres y Familiares de Uruguayos Detenidos Desaparecidos, 2004), quatorze jeunes disparus connaissent aujourd’hui leur « identité biologique ». Six mineurs n’ont toujours pas été localisés : deux avaient plus de 14 ans au moment de leur enlèvement, c’est pourquoi il n’y a pas beaucoup d’espoir de les retrouver en vie ; et des quatre autres, on ignore s’ils ont pu naître après l’enlèvement de leur mère. C’est ce qui nous fait penser que tous les enfants enlevés en Uruguay ont été retrouvés. De sorte que l’Uruguay devint le seul pays du Cône Sud à avoir localisé tous les enfants disparus durant la dictature civique militaire.

La Commission pour la paix

51Dans ce contexte de réactivation de la discussion publique sur le passé récent que le 9 août 2000, le président Jorge Batlle (Parti Colorado, 2000-2005) a décrété la création de la Commission pour la paix. Elle avait pour mission « d’avancer autant que possible dans les enquêtes sur la situation des détenus-disparus sous le régime de facto, ainsi que sur le sort des mineurs disparus dans des conditions similaires. » (« Resolución de la Presidencia… », 9 août 2000. Traduction de l’auteur)

  • 30  Pour une approche plus large de la Commission de la paix, cf. Allier Montaño, 2006.

52La fonction de la Commission uruguayenne ne consistait pas à préparer une amnistie (comme ça a été le cas pour l’Afrique du Sud, par exemple) : l’amnistie avait été établie, de fait, en 1986, et ratifiée par la population, lors du plébiscite de 1989. Elle ne cherchait pas non plus à dénoncer les responsables des violations des droits de l’Homme (comme ça a été le cas en Argentine et au Salvador). En ce sens, son action n’avait pas d’implications judiciaires, comme celle de traduire en justice les militaires impliqués dans la répression. La Commission uruguayenne, comme les commissions sud-africaine et argentine, a essayé de promouvoir une politique de réparations (économiques et légales). Il faut donc insister sur le caractère restreint de la mission de la Commission pour la paix : donner une réponse sur le sort des disparus, laissant de côté d’autres aspects, comme ceux que nous venons de mentionner30.

  • 31  Néanmoins, au-delà de la définition de ses missions, la Commission estimait, dans son rapport fina (…)

53En outre, il est important de noter que cette Commission a été créée tardivement si on la compare aux autres commissions de vérité qui se sont formées dans différents pays du monde dès la sortie du conflit politique, et non 15 ans après comme ça a été le cas en Uruguay. En ce sens, la dénomination des diverses commissions constitue un aspect fondamental pour comprendre leurs portées et objectifs. La Commission créée en Uruguay n’a pas été appelée commission de vérité ; ce terme ne figurait même pas dans la définition de ses fonctions et objectifs31. Le choix du concept de paix, proche de celui de réconciliation, n’est pas un hasard dans le contexte uruguayen. Sous les différents gouvernements civils, le passé récent –quand on n’a pas cherché tout simplement à l’effacer de la mémoire et de la discussion dans l’espace public– a été conçu comme une guerre entre deux parties antagoniques (les forces armées et la guérilla). En ce sens, l’initiative de Jorge Batlle s’inscrit dans cette même ligne de pensée : une Commission pour la paix ne pouvait avoir raison d’être que s’il y avait eu une guerre auparavant. D’après le président, un certain « état d’âme » (estado del alma) était nécessaire pour trouver « une solution définitive de paix et d’entente entre tous les Uruguayens » (« Batlle recibirá a los familiares… », 1 avril 2000. Traduction de l’auteur).

  • 32  En Argentine, par exemple, on en comptabilisait presque 9 000 ; au Chili, on dénombrait 2 095 vict (…)

54À la différence d’autres commissions d’enquête qui ont traité plusieurs milliers de dénonciations32, celle créée en Uruguay n’a reçu que 223 dénonciations de disparitions. Étant donné que la Commission n’était pas un organisme judiciaire, ses membres ont décidé de ne déclarer une personne « disparue » que lorsqu’ils avaient tous, « en toute honnêteté », l’intime conviction qu’ils avaient découvert la vérité.

  • 33  À partir du témoignage d’un militaire, le sénateur Rafael Michelini (Nouvel espace) a découvert en (…)

55Sur les 38 dénonciations de disparitions en Uruguay (32 Uruguayens et 6 Argentins), le rapport reconnaissait la mort de 26 Uruguayens. Quant aux dénonciations sur les disparitions d’Argentins, la Commission confirmait quatre cas, et « partiellement » un. Sur le sort final des disparus, le rapport a accepté l’existence de « l’Opération Zanahoria »33 : l’impossibilité de localiser et de restituer à leurs familles les corps des disparus en Uruguay, puisque ces corps avaient été déplacés, brûlés, et leurs cendres jetées à la mer vers la fin de la dictature. Enfin, le rapport assurait que les disparus en Uruguay n’appartenaient pas à des « organisations subversives » et qu’ils avaient succombé alors que la guérilla avait déjà été anéantie en 1972.

  • 34  Les corps ont été localisés grâce à la collaboration de l’Equipo Argentino de Antropología Forense(…)
  • 35  Mais, contrairement aux cas précédents, sans que la Commission se soit prononcée de façon objectiv (…)
  • 36  Selon la Commission, dans 72 cas il y avait des éléments permettant de penser que les personnes av (…)
  • 37  28 d’entre eux ont été écartés parce qu’ils n’entraient pas dans le cadre des faits analysés par l (…)

56Quant aux Uruguayens disparus en Argentine, la Commission a comptabilisé 182 plaintes : 13 ont été résolues34, et 42 autres confirmées35 ; 73 cas ont été partiellement confirmés36, et plus de 50 autres écartés, par manque d’information37. En ce qui concerne les 8 plaintes reçues par la Commission sur des Uruguayens disparus au Chili, 7 ont été confirmées. Concernant le Paraguay, les deux plaintes reçues ont été confirmées ; une plainte sur des Uruguayens disparus au Brésil a été écartée, de même que pour la Colombie, et un cas élucidé pour la Bolivie.

57Quant aux mineurs disparus, la Commission a reçu 40 plaintes: 32 déposées par de tierces personnes et 8 par des jeunes gens qui avaient des doutes de leur « identité biologique ». 33 cas ont été écartés, un confirmé, et 6 autres présentés par les propres jeunes ont été considérés en attente de résolution.

58L’objectif du rapport était certes d’élucider le sort des disparus, mais il reconnaissait aussi les « graves violations des droits de l’Homme sous le régime de facto » (Comisión para la Paz, 2003 : 17. Traduction de l’auteur). Le fait d’admettre officiellement que des « délits d’État » avaient été commis et que ces délits avaient été perpétrés par des agents de l’État, constituait l’un des aspects les plus importants du rapport. La Commission uruguayenne ne nommait pas expressément les « agents de l’État » impliqués dans la répression, arguant que sa mission n’incluait pas la détermination des responsabilités individuelles ou institutionnelles. Pourtant, pour la Commission, il fallait rappeler que l’une des obligations de l’État était de défendre la loi ; c’est pourquoi elle a demandé une condamnation detoute laviolence politique du passé.

59Même si la Commission n’a pas élaboré un récit historique et n’a pas approfondi sur les causes et les conséquences de la période étudiée, le rapport se voulait une histoire officielle sur le sort des disparus : histoire officielle, non pas dans le sens d’une version narrative cohérente sur le passé récent, mais d’une officialisation de certains faits concernant ce passé : c’est-à-dire que les disparus étaient morts, qu’ils n’étaient pas morts à la suite d’une guerre, et qu’il y avait bien eu violations des droits de l’Homme pendant la dictature.

  • 38  Souligné par l’auteur.
  • 39  Souligné par l’auteur.

60Le 10 avril, le jour même où il a reçu le rapport, le président de la République a fait des déclarations à la presse, dans lesquelles il soulignait qu’il s’agissait de la fin d’un cheminement amorcé en 1985 avec le vote du Parlement sur l’amnistie pour les prisonniers politiques. Le président affirmait : « L’Uruguay a connu ces quarante dernières années des circonstances très difficiles et très douloureuses38. » (« Mensaje del Presidente Batlle…, 10 avril 2003 ». Traduction de l’auteur). Ce jour-là, Batlle acceptait officiellement les informations contenues dans le rapport final en « assumant que ses conclusions constituent la version officielle sur la situation des détenus-disparus39 ». (« Resolución de la Presidencia…, 10 avril 2003 ». Traduction de l’auteur) Le 16 avril, le président signait un décret mettant un « point final » au thème de la violence dans le passé récent : tout en ratifiant les conclusions de la Commission pour la paix, le décret considérait que celles-ci avaient accompli les tâches prévues par les dispositions de l’article 4 de la Loi de caducité. Batlle a demandé à ce que ces conclusions fussent assumées avec « prudence et grandeur » par toutes les parties.

61Si, dans un premier temps, le rapport final de la Commission a été bien accueilli par la majorité des secteurs intéressés par la question, les réactions face aux divers décrets de Batlle ne se sont pas fait attendre. Trois aspects en particulier ont suscité la controverse dans l’espace public : le fait que le rapport de la Commission pour la paix était censé remplir les dispositions prévues par la Loi de caducité ; la version donnée sur le sort des disparus en Uruguay ; et le fait que ce rapport mettait un « point final » au thème des disparus.

Les nouveautés : vérité, mais aussi justice à nouveau, 2004-2009

  • 40  Créé en 1994 sous la forme d’une alliance permanente, la RP a rassemblé le Front ample, le Parti d (…)

62Une dernière période a commencée en 2004, marquée par trois phénomènes : l’arrivée à la présidence en 2005 de Tabaré Vázquez (Rencontre progressiste – Front ample – Nouvelle majorité –RP– 40) et l’avènement d’une double exigence par rapport au passé. On en a appelé à la recherche de la « vérité » sur le sort des disparus, la demande de « justice » a refait surface dans les débats publics et l’on a voulu que celle-ci s’applique à l’encontre des responsables des violations des droits de l’Homme.

63L’arrivée au gouvernement a signifié pour la RP d’être soumise à une pression beaucoup plus forte de la part des organisations de défense des droits de l’Homme qui estimaient qu’un gouvernement de gauche « devait » mettre en place une série de mesures que les gouvernements précédents n’avaient pas prises. Eu égard à la première exigence, le gouvernement a commencé en 2005 tout un travail de recherche des corps des disparus dans les enceintes militaires et a localisé, jusqu’à ce jour, deux corps : Ubagesner Chaves Sosa (Parti communiste, disparu le 28 mai 1976, à Montevideo) et Fernando Miranda (professeur de l’Université de la République, kidnappé le 30 novembre 1975).

64En outre, en 2005 le gouvernement a chargé les historiens José Pedro Barrán, Gerardo Caetano et Álvaro Rico de faire un rapport sur les droits de l’Homme sous la dictature. L’Informehistórico, composé de trois volumes, faisait une référence au détail de chacun des disparus en Uruguay.

65Il faut souligner trois points concernant toutes ces actions. Tout d’abord, Vázquez a été le premier président à décider de connaître le sort des disparus, et qui plus est, à chercher à les localiser, en montrant de cette façon une ample différence avec les gouvernements qui l’ont précédé. Ensuite, il a démontré que les disparus peuvent être localisés. Enfin, la découverte de corps a signifié la corroboration de l’existence de disparus en Uruguay.

66Plusieurs autres initiatives ont été prises pour satisfaire les exigences concernant la justice. Il faut se rappeler que l’article 4 de la Loi de caducité permettait l’ouverture des enquêtes si le Pouvoir exécutif le considérait adéquat. Il ne s’agit pas de changer la Loi, mais de la contourner. Si les gouvernements antérieurs avaient considéré que tous les procès judiciaires étaient du ressort de la Loi et qu’ils ne devaient donc pas continuer, Vázquez a trouvé pour chaque enquête et procès des éléments permettant de ne pas les inclure dans la Loi de caducité (par exemple, que les délits avaient été commis hors du pays, ou qu’il y avait eu participation des civils et pas seulement des militaires : la Loi considérant uniquement les délits commis en Uruguay par des militaires). Une argutie légale que manifeste la volonté gouvernementale pour que justice soit faite. En plus, l’arrivée d’une nouvelle génération a fait que des nouveaux juges soient en charge de ces procès, des juges qui ne sont pas compromis avec la dictature.

67Ainsi, en septembre 2006, plusieurs anciens militaires et anciens policiers ont été condamnés pour la disparition de trois militants de gauche : il s’agissait de la première condamnation à l’égard des militaires et policiers de la dictature depuis le retour de la démocratie en 1985. Le 16 novembre 2006, Juan María Bordaberry, ancien président de la République, et Juan Carlos Blanco, ministre des Affaires étrangères entre 1972 et 1976, ont été condamnés à vingt ans de prison comme « coauteurs de quatre délits d’homicide très spécialement aggravé » : les assassinats des législateurs Zelmar Michelini et Héctor Gutiérrez Ruiz et les assassinats de militants tupamaros, Rosario Barredo et William Whitelaw. En décembre 2007, le général Gregorio Álvarez (dictateur du pays entre 1981 et 1985) et le capitaine de vaisseau Carlos Larcebeau ont été condamnés pour délits contre l’humanité. Finalement, en mars 2009, la justice a condamné huit militaires et policiers pour la séquestration de 28 Uruguayens.

68Et même si ces procès ont obtenu des résolutions favorables aux victimes, les organisations des droits de l’Homme étaient convaincues qu’il fallait annuler la Loi de caducité. En novembre 2006, une Coordination nationale pour l’annulation de la Loi de caducité de la prétention punitive de l’État a été créée. En juin 2009, la Coordination a rassemblé les signatures nécessaires pour la réalisation d’un nouveau référendum sur la Loi de caducité, qui a eu lieu le 25 octobre 2009. Les résultats préliminaires indiquent que, une nouvelle fois, les votes n’ont pas permis d’annuler la Loi, car seulement un 47,98 % de la population a voté pour l’annulation. Pourtant, les organisations des droits de l’Homme ont affirmé qu’ils vont continuer leur lutte contre la Loi de Caducité.

69Depuis 1985, il y a eu des fluctuations et changements concernant les exigences sur le passé récent, en même temps que les différents gouvernements ont mis à l’œuvre une série de mécanismes pour faire face à ces demandes. Mais presque toutes les exigences et tous les mécanismes avaient comme axe principal le sort des disparus.

Ceux qui n’ont pas une sépulture demandent une réponse

  • 41  Sur la mémoire de l’exil, cf. Dutrénit, Allier Montaño, Coraza, 2008.
  • 42  Néologisme créé en Uruguay en référence à la situation de « marginalisation » dont souffraient ceu (…)

70Ainsi, le thème central de la violence dans le passé récent s’est constitué autour des disparus pour des motifs politiques sous la dictature. Beaucoup d’autres thèmes liés aux violations des droits de l’Homme, ainsi que d’autres aspects de cette période, ont été laissés de côté pour se centrer sur les détenus-disparus : la torture, l’exil41, la vie quotidienne dans l’insilio42, la prison, la participation de civils au régime civique militaire, l’économie, les délits économiques, les causes et les conséquences de la dictature. La mobilisation des organisations de défense des droits de l’Homme sur le passé récent est axée sur l’exigence d’éclaircissement sur le sort des disparus.

71Les oublis et la réapparition de certains thèmes dans l’arène publique ont certainement été influencés par la « sélectivité de la mémoire » (Halbawchs, 1997 ; Candau, 1998 ; Le Goff, 1988). Mais cela ne suffit pas. Comment expliquer alors que la discussion se centre sur certains droits de l’Homme plutôt que sur d’autres ? Pour comprendre ce phénomène, il ne faut pas perdre de vue que la mémoire du passé est indissociable du présent, et plus particulièrement de ses enjeux. À la sortie de la dictature, les droits de l’Homme violés qui étaient les plus présents et qui exigeaient une réparation rapide étaient ceux liés au droit au travail, aux prisonniers et à la torture subie dans les prisons, aux disparus politiques, aux enfants kidnappés. Mais, d’une certaine façon, on considère en Uruguay que la plupart de ces questions ont été « tranchées ».

72De nombreux membres de Familiares à qui on demande pourquoi la question des disparus apparaît comme le principal thème de discussion resté en suspens dans l’arène publique, estiment que c’est le seul sujet qui n’a pas reçu l’attention qu’il mérite et qui n’a pas été « résolu ». Un ancien prisonnier politique l’explique ainsi : « Les Mères ont servi de catalyseur. Si ça se trouve, s’il n’y avait pas eu de “disparus”, personne ne se souviendrait de rien. Mais cet élément non conclu a déclenché la réflexion sur le thème du passé » (Entretien avec Elbio Ferrario).

73Le psychanalyste uruguayen Marcelo Viñar (1997) affirme que si le thème des morts réapparaît en Uruguay « malgré le supposé explicite qu’il s’agit là d’une affaire close du point de vue juridique, c’est parce que certaines choses ne peuvent être considérées caduques, malgré l’impératif légal de caducité ».

74À cette première explication, c’est-à-dire qu’il s’agit là d’un thème non résolu, viendrait s’en agréger une deuxième connexe : l’influence de la juridiction internationale. Les différentes législations internationales reconnaissent que la disparition forcée constitue un délit imprescriptible et de « lèse-humanité », dont le dommage perdure tant que le sort de la victime, ou le lieu où elle se trouve n’a pas été déterminé.

75À ces deux aspects s’ajoute la terreur associée à la disparition forcée depuis l’époque de la dictature, et dont le but et la conséquence ont été d’intimider et d’effrayer non seulement les personnes directement concernées (les disparus et leurs proches), mais l’ensemble de la population du pays, dans la mesure où l’événement était connu plus ou moins par une majorité de la société et traité comme une chose dont on devait avoir « honte ».

76C’est l’impensable de l’horreur, ce que Freud (1919) a appelé das Unheimliche (l’inquiétante étrangeté, l’infamilier). Ignorer ce qu’il est advenu de 200 personnes –ou plus– sous la dictature signifie davantage que cela : cela implique que l’infamilier pèse sur la société tout entière et fait partie de sa vie quotidienne. Dans Études sur les Allemands, Norbert Elias (1996) explique que, lorsqu’ on les empêche de s’exprimer par la voie de la catharsis, certaines expériences traumatiques collectives s’ancrent profondément dans la psyché des membres de ces sociétés, entraînant de lourds dégâts. Ces ravages rendent difficile la vie en société. C’est le cas de l’Uruguay. Elias estime que dans ces sociétés, le problème doit être discuté, comme une issue purificatrice, afin d’éviter les traumatismes. C’est un peu comme dans la psychanalyse individuelle : on doit reconstruire la vérité à travers le discours, pour avoir une nouvelle perspective de vie. En ce sens, Paul Ricœur (2000) a assuré que l’espace public peut devenir le « lieu de psychanalyse » pour les sociétés.

  • 43  Sur la question du deuil en proches de disparus en Argentine, cf. Silva Catela, 2001.

77Comme si ces aspects n’étaient pas suffisants, il reste encore la question du deuil. En Uruguay, on peut constater cette difficulté à effectuer le travail de deuil et à accepter que le disparu soit mort et qu’il ne revienne pas43. C’est ce que traduisent de nombreux témoignages de proches de disparus que nous avons interrogés :

Je peux te dire que des mères continuent de croire encore aujourd’hui que leur enfant est peut-être quelque part. Aujourd’hui encore… la raison te dit : “non, ils l’ont tué, c’est logique, parce que s’il était encore vivant quelque part, il aurait déjà donné signe de vie” . Mais, d’un autre côté, est-ce que je sais, tu t’imagines qu’il est peut-être amnésique, qu’il est peut-être enfermé dans un asile, qu’on lui a peut-être donné une autre identité… tu t’imagines n’importe quoi, pourvu que ce ne soit pas la mort. Alors que la raison te dit “non”. (Entretien avec Luisa Cuesta).

78Ainsi, à la question de savoir pourquoi les disparus sont devenus le thème central de la discussion dans l’espace public, nous pouvons répondre : parce qu’on n’a obtenu aucune réponse et aucun éclaircissement sur leur sort ; parce que le délit de la disparition forcée est permanent, et qu’il continue tant que l’on ne connaît pas le sort de la personne ; parce que la législation internationale s’en préoccupe ; parce que la disparition tient de l’infamilier et imprègne toute la société ; parce qu’il est impossible de faire le deuil en l’absence d’une tombe.

Conclusions

79L’histoire des discussions sur le passé récent en Uruguay a ses propres origines. Celles-ci se situent dans les années de la prédictature et de la dictature, lorsque les groupes et les acteurs politiques se sont divisés, précisément parce que leurs positions face à ce qui se passait étaient opposées. Et, bien que certains discours et débats aient évolué sous l’influence des événements du présent, on continue à percevoir plus ou moins ces origines dans les discussions contemporaines.

80Le vécu entre le milieu des années 1960 et la fin du régime militaire a marqué sensiblement le pays, laissant de très profondes blessures. Peut-être parce que l’on n’avait jamais connu auparavant une violence susceptible d’affecter tant de secteurs de la société, ou une telle répression de la part de l’État contre la population, ou encore parce que les Uruguayens croyaient fermement à leurs mythes de nation pacifique et civiliste (Rial, 1986). Quoi qu’il en soit, ce passé violent et déchirant a laissé un corps social gravement blessé et fragmenté. Les séquelles des années de violence étaient à fleur de peau dans un pays qui avait besoin de redéfinir son passé, son présent, son futur et son identité en tant que nation. C’est pourquoi les différents secteurs intéressés par le passé récent se sont attelés à la tâche de nommer l’affrontement vécu dans les années antérieures à 1985.

81Cette question peut être visualisée à travers les mémoires confrontées sur la violence, qui sont reflétées dans les décisions de mettre ou non à l’œuvre une série de mécanismes pour réparer les dommages commis pendant la dictature. D’une part, la mémoire de dénonciation de la répression, dont un des principaux objectifs –outre la volonté de mémoire– est de « dénoncer les crimes qui demeurent impunis sous la démocratie », d’expliciter que la blessure ouverte dans le passé récent est toujours béante. C’est une mémoire liée au besoin de légitimer le débat dans l’arène publique, de faire admettre les délits et de réclamer réparation pour les préjudices. Si ces objectifs étaient atteints, il est probable que cette mémoire perdrait sa caractéristique de « dénonciation ». Elle ne cesserait pas pour autant d’exister, mais elle pourrait se transformer en un autre type de mémoire et transiter aussi par les chemins de l’oubli. Pour l’heure, elle ne peut sans doute qu’être une mémoire de dénonciation, car il s’agit d’un passé qui « n’est pas mort », un passé « brûlant » qui, d’une certaine façon, « n’a pas encore pris fin ».

  • 44  En ce sens, les Tupamaros manient également une mémoire d’éloge de leur rôle dans le passé récent, (…)

82De l’autre côté, on trouve la mémoire d’éloge, que présente une version de l’histoire à travers laquelle on dénonce le « terrorisme subversif ». Il s’agit d’une vision du passé récent selon laquelle le pays vivait alors un affrontement, et qu’il fallait faire face au « terrorisme subversif » mis en place par les organisations armées. Pour les militaires et les gouvernements du Parti Colorado, parler de guerre, de faire face à l’agression du « terrorisme subversif », leur permet de donner une interprétation de l’histoire à travers laquelle ils revendiquent leur rôle dans le passé, puisque l’objectif (lorsque les forces armées furent chargées de la lutte contre la « subversion » en septembre 1971) était de « sauver la nation » face à la menace du « communisme international »44. C’est donc une mémoire d’éloge du passé récent.

83Quel est le principal sens de cette confrontation de mémoires? Les débats dans l’espace public transmettent une version du passé à la société. Les nouvelles générations, la population qui n’a pas vécu les faits, reprendront ces versions et les feront leurs (il peut arriver aussi qu’elles les combattent et en créent de nouvelles). Nommer le passé signifie lui donner une interprétation : les batailles pour s’approprier le passé à travers la façon de le désigner cherchent à ce que la version d’un groupe (la mémoire d’élogeou la mémoirede dénonciation) devienne hégémonique. L’enjeu n’est pas seulement de gagner la bataille pour le passé, mais aussi pour le présent et le futur.

84Jusqu’à présent coexistent ces deux grandes visions du passé, aucune des deux n’étant pas encore hégémonique. Néanmoins, certains événements des dernières années sont venus modifier la vision d’une partie considérable de la population : l’apparition des derniers mineursdisparus, le rapport de la Commission pour la paix, l’Informehistórico, la découverte des corps des disparus dans certaines enceintes militaires en Uruguay, sont devenus, d’une certaine façon, des événements contemporains qui confirment de nombreux faits dénoncés par les organisations de défense des droits de l’Homme et qui permettent de construire une vérité sociale. Ces événements supposent donc que la mémoire d’éloge du passé récent commence à décliner face à la mémoirede dénonciation. Il est trop tôt pour affirmer que celle-ci soit devenue aujourd’hui hégémonique dans l’espace public, mais on peut constater qu’elle commence à acquérir une force et une position dominante inédites jusqu’alors. C’est là le résultat de multiples processus : les nouvelles conditions politiques, l’écoulement du temps et, d’une certaine façon, l’acceptation du caractère juste des demandes de Familiares et des organisations de défense des droits de l’Homme. Lentement, mais avec une force constante, Familiares est parvenu à ce que ses demandes soient écoutées dans l’arène publique. Grâce à plus de trente ans de travail, ce groupe a réussi à ce que les différents secteurs reconnaissent que ses exigences sont justes. Et d’une certaine façon, ils ont fait que la mémoire de dénonciation ait comme axe le sort des disparus.

85À mesure que les problèmes hérités de la dictature trouvaient une solution, ils s’absentaient du débat dans l’espace public : les prisonniers politiques (Loi de Pacification nationale), les exilés (soutiens gouvernementaux et d’ong pour leur retour), les licenciés pour des motifs politiques (Loi de réhabilitation des destitués), les mineurs disparus (localisation du dernier en mars 2002). Ceux qui n’ont pas été résolus sont maintenus le sort des disparus, l’éclaircissement de certains événements et morts « emblématiques » (comme l’assassinat de Zelmar Michelini et d’Héctor Gutiérrez Ruíz). Ceux dont les conséquences sont à nouveau devenues visibles ont ressurgi dans la discussion : les conditions de vie de nombreux ex-prisonniers politiques, la mort non élucidée de près de deux cents militants politiques et sociaux, la nécessité de légiférer pour que des milliers de travailleurs du secteur privé obtiennent une pension de retraite et pour que les familles des victimes de la violence soient dédommagées.

  • 45  Néanmoins, l’Uruguay n’est pas le seul pays latino-américain où la question des disparus est deven (…)

86Un thème, néanmoins, condense la problématique du passé récent dans le présent : les disparus45. Depuis 1985 la question du sort des disparus a commencé à occuper une place de plus en plus centrale dans l’espace public (l’importance attribuée au thème s’est cristallisée alors dans la création d’une commission parlementaire). La prédominance de ce thème a des raisons diverses. En premier lieu, parce qu’il n’y a pas de réponse à leur sort. En second lieu, par l’importance de la législation internationale à ce sujet qui suggère que le délit de la disparition forcée est permanent et continu tant que le sort de la personne n’est pas connu. En troisième lieu, du fait du caractère infamilier des disparitions, qui finit par imprégner une bonne partie du pays. Enfin, parce que l’outrage fait au cadavre sans sépulture empêche les rituels par lesquels les hommes se séparent de leurs morts et les évoquent. Tant que ce thème ne sera pas élucidé en Uruguay, ceux qui n’ont pas encore de tombe continueront d’apparaître pour exiger une réponse.

87À travers la création de la Commission pour la paix et du rapport final qu’elle remit au Pouvoir exécutif en avril 2003, à travers aussi la recherche des disparus en Uruguay à partir de 2005, le gouvernement national a admis que le thème des disparus constitue une problématique nationale. Le drame symbolique de ceux qui n’ont pas pu vieillir pèse sur le pays tout entier, réclamant une solution. Ceux qui sont restés en vie, espérant le retour de ceux qui ne sont nulle part, se sont consacrés à la tâche de préserver leur souvenir, à connaître leur sort et à réclamer justice pour leurs morts. Une tâche qui a connu différentes périodes, dans lesquelles parfois la vérité et la justice étaient impossibles, mais qui semble en meilleure voie depuis 2005.

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Entretien avec Luisa Cuesta, mère de disparu, membre du groupe Familiares, effectué à Montevideo par Eugenia ALLIER MONTAÑO, le 20 décembre 2000.

Entretien avec Elbio Ferrario, ancien prisonnier, ancien membre du mln-t, effectué à Montevideo, le 18 décembre 2000.

Témoin 1, membre du groupe Familiares, entretien effectué à Montevideo, le 7 décembre 2000.

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Notes

1  Entendu comme arène de confrontation entre les positions et les discours tenus par différents groupes sociaux. (Quéré, 1992)

2  Une première version de cet article fut exposée au Colloque « Expériences limites, ruptures et mémoires. Dialogues avec l’Amérique latine », École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 18-20 octobre 2006. Durant la rédaction de cet article, je réalisais un postdoctorat en qualité de chercheuse associée aux projets « Mémoire et politique » (CONACYT CB-2005-01-49295, PAPIIT IN401805-3), à l’Instituto de Investigaciones Filosóficas, Universidad Nacional Autónoma de México. Le postdoctorat était financé par la Coordination d’Humanités de l’UNAM. Cet article est aussi issu du projet « Conmemoraciones de pasados recientes violentos; memoria e identidad. Una comparación México-Uruguay » (IISUNAM). Je tiens à remercier les évaluateurs de la revue Conserveries mémorielles pour leurs remarques, suggestions et corrections.

3  Les partis traditionnels, comme on les appelle, ont pris leurs racines au 19e siècle, car ils ont fait leur apparition à partir des cortèges des premiers chefs après l’Indépendance. Différentes classes (représentées par des « lemas » ou devises) intègrent les deux partis, qui sont multi-idéologiques, quoique foncièrement anticommunistes.

4  Le Front ample se constitua en 1971, en tant que coalition intégrée par divers partis de gauche et organisations sociales.

5  Sur les Tupamaros et leur mémoire sur le passé récent, cf. Allier Montaño, 2008.

6  Durant les années 1970, les forces armées ont utilisé ce terme pour désigner tout à la fois les Tupamaros, les communistes et les membres du Front ample.

7  Les chiffres sur les disparus sont une affaire en construction. Si jusqu’à il y a peu on pensait que le nombre des disparus en Uruguay avait été très faible, les récentes découvertes sur plusieurs « vols » (d’avion) entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, dans lesquels plusieurs dizaines d’Uruguayens auraient été « transférés » de Buenos Aires à Montevideo, font penser que les Uruguayens disparus en Argentine auraient été moins que ce que l’on a cru jusqu’aujourd’hui. Selon ces découvertes, les Uruguayens exilés en Argentine n’auraient pas disparu à Buenos Aires, car ils auraient été transférés par avion à Montevideo. Mais comme il s’agit encore de recherches et de découvertes sur ce qui est advenu dans le passé récent, les chiffres ne peuvent pas être considérés comme définitifs.

8  C’est pourquoi en Uruguay la dictature est considérée comme civique militaire et pas seulement comme militaire.

9  En 1989, dû à des différences pour designer le candidat commun pour les élections présidentielles, le Front ample s’est divisé : ceux qui ont abandonné la coalition (le Parti pour le gouvernement du peuple et le Parti démocrate chrétien, qui s’allièrent à l’Union civique) ont créé le Nouvel espace.

10  Le 8 mars 1985, l’amnistie pour les prisonniers politiques fut adoptée par les partis à travers la Loi de Pacification nationale (n° 15 737).

11  La Loi de Pacification nationale a pris également en compte cette situation : ainsi, en vertu de l’article 24, la Commission nationale de rapatriement a été créée au sein du ministère de l’Éducation et de la Culture dans le but de faciliter et d’appuyer le retour au pays de tous les Uruguayens désireux de rentrer.

12  La Loi de réhabilitation des destitués (n° 15 783), adoptée le 25 novembre 1985, a pris en compte cette situation : elle a fixé les normes permettant de réintégrer à leurs postes les fonctionnaires publics –les travailleurs du secteur privé n’ont pas été inclus– qui avaient été destitués par des raisons politiques sous le régime civique militaire.

13  Ci-après appelé Familiares. Sur leur histoire, cf. Demasi, Yaffé, 2005 ; Madres y Familiares de Uruguayos Detenidos Desaparecidos, 2004.

14  Il faut rappeler que les différentes dictatures en Amérique du Sud ont recouru à des formes spécifiques de répression. En Argentine, les militaires pensaient que la meilleure façon d’éliminer les subversifs était de les faire disparaître, de telle sorte que plus de neuf mille personnes ont disparu. Au Chili, c’est surtout l’assassinat direct des opposants (à travers de vastes opérations d’exécutions de masse) qui a été privilégié. En Uruguay, le régime a opté pour l’emprisonnement. Néanmoins, la question de la disparition forcée de personnes a été une forme de répression utilisée dans tous les pays.

15  Sous la dictature, deux enfants uruguayens disparus ont été localisés : Anatole et Eva Lucia Julien Grisonas, retrouvés en 1979 au Chili.

16  Centre de détention clandestin à Buenos Aires, Argentine.

17  Le Parti national joignit au projet un exposé des motifs dans lequel ils ont déclaré assumer leur responsabilité historique face au problème des jugements. Tout d’abord, le document rappelait que plusieurs membres du Parti national avaient été emprisonnés par la dictature, motif par lequel le Parti n’avait pas participé au Club naval (nom accordé aux négociations entre militaires et hommes politiques réalisées entre juillet et août 1984 pour trouver une sortie à la dictature). Néanmoins, d’après eux, un accord avait été conclu au Club naval pour ne pas responsabiliser les militaires des violations des droits de l’Homme. En ce sens, l’institution armée demandait l’observance des accords du Club naval. Le Parti national considérait qu’il fallait respecter ces accords. Pourtant, les membres du Front ample qui ont assisté au Club naval soutient qu’il n’y a pas eu des accords concernant les violations des droits de l’Homme ; ainsi, plusieurs discussions au sujet du Club naval se sont entamées depuis 1985. Cf. Allier Montaño, 2009.

18  Dans les batailles entre le souvenir et l’oubli du passé récent, Sanguinetti a opté pour l’oubli, et cette position s’est cristallisée dans la Loi de caducité. Ainsi, cette loi s’inscrit dans les politiques de l’oubli, en tant qu’institution de l’oubli (Ricœur, 2002 ; Loraux, 1988).

19  Selon l’article 79 de la Constitution, 25% du total des personnes habilitées à voter peuvent interposer un recours au référendum contre les lois, durant la première année de leur promulgation.

20  Dans la capitale, la position du gouvernement a été vaincue. L’Intérieur se montrait plus réfractaire aux changements politiques : la peur et la désinformation ont eu un rôle important en 1989, notamment dans les zones rurales.

21  Cette peur avait différentes facettes : peur de perdre son travail, le droit à la retraite et aux autres acquis que les Uruguayens venaient à peine de récupérer, de faire partie des listes noires de futures dictatures, peur de la déstabilisation, de perdre la tranquillité, peur de la terreur militaire et du « chaos subversif ».

22  La question de l’avenir de la démocratie a influé fortement sur les résultats du référendum. Elle était importante pour ceux qui ont voté en faveur du bulletin jaune comme pour ceux qui ont choisi le bulletin vert. Les premiers ont opté pour l’ « éthique de la responsabilité », décidant ainsi de « tourner la page du passé ». Les seconds ont opté pour l’ « éthique de la conviction », estimant qu’une réelle démocratie passait par l’établissement de la vérité sur le passé. Le fait que cette question ait joué un rôle de premier plan dans le référendum n’est pas fortuit dans un pays où les citoyens se considèrent profondément démocratiques (Cf. Rossel, 2000).

23  Les Partis Colorado et national ont soutenu le vote jaune, tandis que le Front ample, le vert. Si on compare les résultats du référendum de 1989 à ceux des élections nationales de novembre de cette même année, on observe qu’il y a une relation intrinsèque entre ces deux résultats. Les différences entre le « vote vert » et le vote en faveur des partis qui l’ont promu lors des élections de novembre ont été minimes (56,6% et 57,8% respectivement à Montevideo ; 31,2% et 27,3% pour l’Intérieur). De même pour le « vote jaune » et les partis qui l’ont soutenu (43,4% et 41.2% à Montevideo ; 68,8% et 72,2% pour l’Intérieur). (Il faut signaler que la population de Montevideo représente presque la moitié de la population totale du pays.) Ces chiffres indiquent que seule une petite minorité décida de ne pas suivre les consignes des partis auxquels ils adhéraient. On retrouve là la partidocratie caractéristique de la société uruguayenne, terme utilisé par Gerardo Caetano, José Rilla et Romeo Pérez (1987) pour qualifier une situation où toute la vie politique et sociale est déterminée par la dynamique des partis, principaux intermédiaires entre la société et l’État.

Pour plus de détails sur les motifs du triomphe du vote jaune, cf. Allier Montaño (2009, 2004).

24  Il faut mentionner qu’entre 1990 et 1995, seule une petite disparue a été localisée : Mariana Zaffaroni Islas. Elle avait été kidnappée le 27 septembre 1976 en Argentine avec ses parents, Jorge Zaffaroni Castilla et María Emilia Islas Gatti, toujours portés disparus.

25  Plus de cinq mille détenus politiques ont été assassinés à l’esma. On leur faisait croire qu’ils allaient être transférés de camp, on les endormait pour les faire monter dans des avions et on les lançait à la mer. (Verbitsky, 1998).

26  Créé en 1996, Hijos [Fils] regroupe des enfants de disparus politiques, d’exilés, de personnes assassinées et d’anciens prisonniers, dont les demandes publiques les plus importantes son la vérité et la justice.

27  Parents des Assassinés pour des Motifs Politiques a été créée en 2000, et rassemble les mères, épouses et enfants des personnes décédées, victimes de la répression politique entre 1972 et 1985. Son but est d’empêcher que la mort des Uruguayens sous la dictature en Uruguay et dans les pays du Plan Condor tombe dans l’oubli.

28  Jour de l’assassinat de Zelmar Michelini et Héctor Gutiérrez Ruiz, en 1976, à Buenos Aires, en démontrant ainsi l’importance de certains « morts emblématiques ».

29  Paradoxalement, c’est la date de l’assassinat (et non de la disparition) des deux législateurs qui a été choisie pour honorer la mémoire des disparus.

30  Pour une approche plus large de la Commission de la paix, cf. Allier Montaño, 2006.

31  Néanmoins, au-delà de la définition de ses missions, la Commission estimait, dans son rapport final, qu’elle avait rempli ce rôle : « En ce sens, la Commission a tenté d’agir en tant que “Commission de vérité”, dont il existe plusieurs exemples en droit comparé ; c’est-à-dire, une Commission dont le but est d’établir, autant que possible, la vérité sur le sort des personnes détenues portées disparues, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, durant le gouvernement de facto qui s’est installé en Uruguay à partir du 27 juin 1973. » (Comisión para la Paz, 2003 : 8)

32  En Argentine, par exemple, on en comptabilisait presque 9 000 ; au Chili, on dénombrait 2 095 victimes ; au Salvador, quelque 65 000 ; au Guatemala, 42 275 victimes ont été recensées sur la base de témoignages directs.

33  À partir du témoignage d’un militaire, le sénateur Rafael Michelini (Nouvel espace) a découvert en 1996 que les corps de plusieurs disparus avaient été enterrés dans les installations des bataillons d’infanterie N°13 et de parachutistes N°14.

34  Les corps ont été localisés grâce à la collaboration de l’Equipo Argentino de Antropología Forense (eaaf).

35  Mais, contrairement aux cas précédents, sans que la Commission se soit prononcée de façon objective et formelle.

36  Selon la Commission, dans 72 cas il y avait des éléments permettant de penser que les personnes avaient disparu et dans un cas, la disparition n’était que partiellement confirmée, car la personne était morte.

37  28 d’entre eux ont été écartés parce qu’ils n’entraient pas dans le cadre des faits analysés par la Commission ; 20 figuraient sur d’anciennes listes élaborées en Argentine et qui n’étaient pas actualisées ; 3 personnes étaient en vie et n’avaient rien à voir avec les événements des années 1970 ; un cas a été éliminé, car la personne était en vie ; 2 cas n’ont pas pu être résolus, car l’identité des personnes n’a pas pu être précisée ; 2 autres ont été écartés parce qu’il ne s’agissait pas d’Uruguayens.

38  Souligné par l’auteur.

39  Souligné par l’auteur.

40  Créé en 1994 sous la forme d’une alliance permanente, la RP a rassemblé le Front ample, le Parti démocrate-chrétien, et les « lemas » « Courant 78 » et « Battlisme progressiste » (tout les deux issus du Parti Colorado).

41  Sur la mémoire de l’exil, cf. Dutrénit, Allier Montaño, Coraza, 2008.

42  Néologisme créé en Uruguay en référence à la situation de « marginalisation » dont souffraient ceux qui, vivant en Uruguay, avaient été persécutés ou auraient pu être persécutés. (Rial, 1986)

43  Sur la question du deuil en proches de disparus en Argentine, cf. Silva Catela, 2001.

44  En ce sens, les Tupamaros manient également une mémoire d’éloge de leur rôle dans le passé récent, car ils continuent de revendiquer « le droit sacré des peuples à la rébellion ». Durant ces 24 dernières années, le mln-t a affirmé, à travers de multiples déclarations, que, hormis certaines actions, il ne se repentent pas de la lutte armée livrée contre un gouvernement socialement, politiquement et économiquement injuste. Cf. Allier Montaño, 2008.

45  Néanmoins, l’Uruguay n’est pas le seul pays latino-américain où la question des disparus est devenue l’image du passé récent. En Argentine ou au Chili, les disparus constituent aussi le thème central de la discussion dans l’espace public (Groppo, 2001). Ainsi, malgré les différences dans les méthodes de répression utilisées dans ces pays (les disparitions massives en Argentine, les caravanes de la mort au Chili et la prison en Uruguay), la discussion se focalise sur les disparus.

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Eugenia Allier Montaño

est actuellement chercheuse à l’Instituto de Investigaciones Sociales de l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM) et enseignante dans le Collège d’Études Latino-américaines de la Faculté de Philosophie et Lettres de la même université. Ayant obtenu son doctorat en Histoire de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (France), elle est maintenant membre du Système National de Chercheurs (SNI) au Mexique et a écrit plusieurs articles et chapitres publiés au Mexique, France, Pays-Bas, Argentine, Espagne et Uruguay. Son dernier ouvrage s’intitule Batallas por la memoria. Los usos políticos del pasado reciente en Uruguay (Montevideo, IISUNAM / Ediciones Trilce, 2010). Elle dirige à l’IISUNAM le projet de recherche “Memorias públicas del movimiento estudiantil de 1968”.

 

 

 

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