Argentine. Où est Santiago Maldonado ?
Cathy Dos Santos
Traumatisé par les 30 000 victimes de la dictature, le pays veut savoir où se trouve le jeune homme disparu le 1er août alors qu’il participait à une manifestation réprimée.
Sur leurs terres ancestrales de Cushamen, dans la province de Chubut, les Mapuches défient la multinationale Bennetton depuis 2015. Voilà deux ans que la Compagnie des terres du Sud argentin, l’entreprise productrice de laine détenue par le milliardaire italien, a fait main basse sur ces terrains que les Indiens originaires considèrent comme leurs. C’est là, sur ce territoire fertile de la Patagonie, que Santiago Maldonado a été vu pour la dernière fois le 1er août.
Cet artisan tatoueur de 28 ans avait trouvé refuge dans la région il y a quelques mois pour vivre en phase avec la nature, qu’il affectionne. Ce jour-là, le jeune homme qui n’est « ni un militant ni un activiste », selon les déclarations de son frère Sergio, se joint à un rassemblement organisé par la Résistance ancestrale mapuche, qui exige la libération du chef de ce groupe, Facundo Jones Huala, arrêté en juin et sous le coup d’une demande d’extradition du Chili pour des présumés délits de terrorisme. « Il ne fait partie d’aucune organisation de peuples originaires même s’il se montre toujours disposé à collaborer pour des causes face à l’absence de l’État. Ou ses irruptions abruptes », poursuit le proche. Ce jour-là donc, la gendarmerie est appelée en renfort pour lever un barrage de route. Les agents chargent dans le tas. Des balles en plastique et de plomb sifflent. Les biens des Indiens sont saccagés, brûlés. Les manifestants, eux, tentent de s’enfuir par la rivière. Lors de cette violente intervention, Santiago Maldonado se trouve près d’un arbre, rapporte un témoin. Ce dernier parle de cris, un « vous êtes en état d’arrestation ». Puis, silence. Plus rien.
Deux cents dix disparitions forcées imputables aux agents de l’État
Depuis un mois, les cortèges se font plus pressants, à l’image du défilé qui se tiendra aujourd’hui à Buenos Aires. Ils demandent, inlassablement, où se trouve Santiago Maldonado. Ils exigent, avec constance, sa réapparition immédiate et en vie. Comme au temps des années de plomb. L’onde de choc est puissante dans ce pays encore traumatisé par la dictature (1976-1983) où les 30 000 disparitions forcées d’opposants restent une plaie béante. L’absence du jeune homme est vécue comme une énième répression intolérable. Les conservateurs au pouvoir emmenés par le président Mauricio Macri ont tenté d’esquiver, de manière grossière, les interpellations de la société civile et des organismes des droits de l’homme. La ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, est même allée jusqu’à affirmer que personne ne pouvait garantir que Santiago se trouvait bel et bien sur les lieux où il a disparu « parce que tout le monde portait une cagoule ». Ce mépris n’est pas sans en rappeler d’autres. En 1979, le dictateur Jorge Videla, qui était interpellé sur le sort des victimes de son régime, avait rétorqué sans ciller : « Tant qu’il est disparu, il ne peut recevoir de traitement spécial, c’est une inconnue, c’est un disparu, il n’a pas d’entité, il n’est ni vivant ni mort, il a disparu. »
Plus récemment encore, en 2006, bien après l’avènement de la démocratie, Julio Lopez, victime des exactions de la junte, a lui aussi « disparu » après avoir témoigné contre Miguel Etchecolatz, sinistre figure considérée comme l’un des bourreaux les plus sanguinaires de la dictature. À l’époque, pour dégager l’État de ses responsabilités, certains s’étaient plu à colporter la rumeur selon laquelle Julio Lopez était un ivrogne, un fabulateur… Ces trente-cinq dernières années pourtant, 210 disparitions forcées imputables aux agents de l’État ont été inventoriées par la Coordination contre la répression policière et institutionnelle (Correpi). Le cas de Santiago Maldonado a pris une dimension nationale, et très politique. Le gouvernement a certes offert une récompense de 28 000 dollars à quiconque livrerait des informations sur le sort de l’artisan. Mais, la démarche a aussitôt été perçue comme une manière de dédouaner le corps de gendarmerie, et donc les autorités. « L’État est le responsable direct (…). Nous retournons aux pires moments vécus dans le pays (…). L’enlèvement et la disparition ne sont pas des crimes prescrits par le temps (…). Ils mettent en sérieux danger la démocratie (…). Ce sont des symptômes très dangereux pour notre peuple », a dénoncé le prix Nobel de la paix argentin, Adolfo Perez Esquivel.
Il y a une semaine, à l’occasion d’un match de football de la première division, les joueurs de Temperley ont posé devant les caméras avec une banderole demandant la réapparition du jeune homme. Ce même week-end, près d’un demi-million de tweets et de posts sur Facebook se sont émus de son sort. Mardi, les avocats de sa famille ont remis au ministre de la Justice et des Droits de l’homme, German Garavano, une pétition exigeant de l’exécutif qu’il reconnaisse publiquement que leur proche a bel et bien disparu de « manière forcée », contraignant ainsi l’État à reconnaître sa responsabilité. Ce même jour, la Ligue argentine des droits de l’homme (Ligaddhh) a déposé une plainte contre le président Mauricio Macri, trois de ses ministres dont ceux de la Sécurité et la Justice ainsi que les commandants de la gendarmerie, pour « disparition forcée ». Disparition, un mot qui glace jusqu’au sang en Argentine, où des milliers de familles recherchent encore leurs parents, victimes de la violence d’État, et de son silence.